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16 novembre 2015 1 16 /11 /novembre /2015 08:13

La Pologne a remis en cause l’accord de répartition des réfugiés et annoncé le rétablissement du contrôle de ses frontières, fragilisant la cohésion entre les Vingt-Huit.

L’Etat islamique a enfoncé un coin dans la fragile solidarité que les Européens ont jusque-là réussi à maintenir face à la crise des réfugiés. Dès le lendemain des attentats de Paris, les populistes de Droit et Justice (PiS), qui viennent de remporter les législatives en Pologne, ont tiré le rideau de fer. Pour Konrad Szymanski, futur ministre des Affaires européennes, il n’est plus question de respecter l’accord prévoyant la répartition de 160 000 demandeurs d’asile, car «la Pologne doit garder le contrôle complet de ses frontières, ainsi que de sa politique d’asile et d’immigration». Les populistes polonais se sentent en guerre contre les musulmans, comme l’a déclaré sans complexe Witold Waszczykowski, le futur ministre des Affaires étrangères : «Il faut approcher de manière différente la communauté musulmane qui vit en Europe et qui hait ce continent, qui veut le détruire.» Une position qui fait écho à celle affichée par la Hongrie, la Slovaquie ou encore la République tchèque.

Forceps.Ainsi la générosité face à l’afflux de réfugiés, prônée à la fois par Angela Merkel, la chancelière allemande, et Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, paraît désormais passée de mode. Déjà, le plan de relocalisation de 160 000 demandeurs d’asile syriens, irakiens et érythréens proposé par la Commission afin de soulager les pays de premier accueil n’a été accepté qu’au forceps, en octobre : il a fallu que les ministres de l’Intérieur votent à la majorité qualifiée pour l’imposer aux pays récalcitrants d’Europe de l’Est. Une première dans le domaine sensible de l’immigration. Mais la quasi-totalité des Vingt-Huit ont ensuite refusé, à la grande colère de l’Allemagne, d’adopter le système de répartition permanent comme le proposait la Commission. Pour ne rien arranger, les relocalisations se font depuis au compte-gouttes, les Etats traînant des pieds : moins de 150 personnes ont ainsi été jusqu’à présent transférées d’Italie et de Grèce. «Si nous continuons à ce rythme, on en aura terminé en 2101», a ironisé Jean-Claude Juncker la semaine dernière.

Après les attentats de Paris, beaucoup de pays, et pas seulement la Pologne, vont y regarder à deux fois avant d’accueillir chez eux des réfugiés désormais perçus comme de potentiels terroristes. Si le système de relocalisation vole en éclat, toute la charge des réfugiés pèsera sur les pays de la ligne de front. En clair : la Grèce et l’Italie.

De plus, Angela Merkel a effectué un virage sur l’aile vendredi en annonçant que l’Allemagne allait de nouveau appliquer le règlement de Dublin III, qui prévoit que les demandes d’asile doivent être déposées dans l’Etat européen d’arrivée, un système qu’elle avait suspendu en ouvrant grand ses frontières aux Syriens et aux Irakiens… Ce qui revient en fait à laisser la Grèce et l’Italie se débrouiller avec les réfugiés et les migrants.

Dans le même temps, afin de contrôler ou d’endiguer l’afflux, la plupart des pays de l’espace Schengen ont rétabli des contrôles à leurs frontières intérieures, comme l’Allemagne et la Suède, sans parler de ceux qui ont érigé des murs tant aux frontières extérieures de Schengen qu’intérieures (Hongrie, Croatie, Slovénie, Autriche). Après les attentats de vendredi, la France a suivi pour des raisons de sécurité, ce qui devrait renforcer la détermination de ses partenaires de maintenir leurs propres contrôles afin de rassurer leur population.

Coopération.Si ce retour des frontières intérieures est tout à fait légal, il est clair que la tentation du chacun pour soi n’a jamais été aussi forte, au risque de mettre à bas Schengen et la politique commune d’asile et d’immigration. Or celles-ci instaurent davantage de sécurité en mutualisant le renseignement (système commun de visas, enregistrement des empreintes des demandeurs d’asile via le fichier Eurodac, et Système d’information Schengen, un fichier listant notamment les personnes recherchées, coopération policière via Europol, etc.). Un retour des frontières signerait la mort de cette coopération. Or, tous les responsables européens savent qu’il faut au contraire une collaboration maximale entre pays européens, tant en matière d’asile et d’immigration que de sécurité.

C’est la voie que veut emprunter la France, qui vient d’obtenir la convocation d’une réunion extraordinaire des ministres de l’Intérieur, vendredi prochain, afin d’accélérer l’adoption d’un PNR européen (Passenger Name Record, un fichier regroupant toutes les données des voyageurs aériens), de renforcer la lutte contre le financement du terrorisme et le trafic d’armes, d’accroître l’échange de renseignements et d’assurer un contrôle effectif des frontières extérieures de l’Union européenne.

Libération, Jean Quatremer, 15 novembre 2015

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