Daniel Cueff, le maire de la commune d'Ille-et-Vilaine, dit sa déception après la suspension par la justice de son arrêté visant à limiter l’usage des produits phytosanitaires sur sa commune, alors que Macron a reconnu vendredi la légitimité de ses «intentions».
Le tribunal administratif de Rennes a suspendu ce mardi l’arrêté du maire de Langouët (Ille-et-Vilaine) Daniel Cueff visant à limiter l’usage des pesticides sur sa commune. Cet arrêté, défendu le 22 août devant la juridiction pour notamment palier «les carences de l’Etat»en matière de protection des populations, prévoyait l’interdiction des produits phytosanitaires à moins de 150 mètres des habitations. Une vingtaine de maires ont adopté des arrêtés similaires. Dénonçant un double discours au sommet de l’Etat, Daniel Cueff a annoncé qu’il allait faire appel du jugement.
Une réaction de colère d’abord. Dans ses attendus, le tribunal ne prend pas une seule fois en compte la nécessité de protéger les populations des produits phytosanitaires en lieu et place d’un Etat défaillant qui, depuis 2009, ignore les directives européennes sur ces questions. Il n’y a aucune analyse, ce jugement redit simplement ce qu’a avancé la préfecture concernant la réglementation des épandages de pesticides, à savoir qu’elle serait un domaine réservé du ministre de l’Agriculture. Les juges n’ont pas cherché plus loin. Ils n’ont pas cherché à savoir si le maire pouvait être compétent pour protéger ses habitants, notamment à travers son pouvoir de police municipal qui stipule qu’il doit assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publique dans sa commune et prévoit l’interdiction d’exhalaisons nuisibles. C’est un jugement de pure forme et il faudra encore attendre quatre ou cinq mois pour connaître l’avis du tribunal sur le fond.
Bien sûr ! C’est la préfète d’Ille-et-Vilaine qui a estimé que mon arrêté était entaché d’irrégularités et qui a demandé sa suspension immédiate. Ce qui va tout bloquer pour plusieurs mois. Elle aurait pu engager un simple recours sur le fond, ce qui nous aurait permis d’expérimenter pendant au moins quatre ou cinq mois cet arrêté dans un climat de paix civile et sociale. Nous aurions pu jouer les intercesseurs entre les habitants qui demandent plus de protection et les agriculteurs pour faire évoluer leurs pratiques sur cette zone de 150 mètres sans pesticides que prévoyait l’arrêté, dont l’intention n’était pas de supprimer totalement leur usage. Cette bande de 150 mètres n’en restait pas moins cultivable et on aurait pu travailler sur un projet intercommunal et expérimenter de nouvelles techniques. Celles-ci existent, comme le mélange des bonnes et des mauvaises graines qui peuvent être récoltées dans un champ de blé et ensuite passées dans une trieuse. Ce sont d’abord les coopératives qui ne veulent pas de ce mélange de graines dans les champs.
On est dans un paradoxe extraordinaire. D’un côté, on me donne raison en annonçant qu’on va mettre très prochainement en place une nouvelle législation, ce qui laisse penser que mon arrêté a un bel avenir. Et de l’autre, il est attaqué et retoqué devant un tribunal. Ce doit être la politique du «en même temps» ! Il y a aujourd’hui une vive inquiétude des habitants à l’égard des produits phytosanitaires et plusieurs maires me contactent car ils se font interpeller sur ces questions et se demandent ce qu’ils peuvent faire. J’ai également reçu des milliers de messages de soutien. C’est sans doute le signe que l’on est arrivé à un point de bascule et la ministre de l’Ecologie l’a bien compris. Mais il ne faudrait pas que cela se traduise par un changement light, à la marge. La bande des cinq mètres déjà prévue aujourd’hui est ridicule et la charte de bon voisinage lancée en 2018 par la FNSEA et approuvée par l’Association des maires de France est très trompeuse. Elle se contente de demander aux élus de prendre note de ce qui est fait, sans qu’il y ait rien de réellement efficace en terme de protection. Il faudrait déjà mettre en place une réglementation contraignante et non basée sur le volontariat.
Pierre-Henri Allain correspondant à Rennes
Libération 27 août 2019