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27 avril 2013 6 27 /04 /avril /2013 00:53

Moise Blajchman né le 1er mars 1886 à Radom (Pologne) et Rosa Blajchman, née 3 avril 1890 à Sokolow (Pologne), étaient mes grands parents maternels. Ils étaient dans le convoi 66 qui les a amenés le 20 janvier 1944 de Drancy à Auschwitz.. Ils sont morts assassinés à Auschwitz le 25 janvier 1944, victime du 2ème génocide du 20ème siècle. Ce ne sera malheureusement pas le dernier, mais il demeure le seul ayant connu une telle envergure.. 


Le convoi 66 du 20 janvier 1944 : 1153 Juifs français et immigrés vers Auschwitz, 92 survivants en 1945

 

Le 20 janvier 1944, le convoi n° 66 part de Drancy vers Auschwitz, emportant 1 153 Juifs. Il s’agit du premier transport de l’année 1944. Il s’inscrit au sein de la réorganisation de la « Solution finale » en France conduite par Aloïs Brunner. Cet officier nazi, connu pour son efficacité, a été nommé pour prendre le commandement de la « Solution finale » en France : arrivé en juin 1943, il relança les déportations au départ de Drancy.

 

En effet, les déportations de masse [principalement des juifs immigrés] furent celles de l’année 1942 avec le rythme le plus soutenu et régulier. À partir du 19 juillet 1942, les convois se sont succédé au nombre de trois par semaine, jusqu’à leur interruption de novembre 1942 à février 1943. Les déportations reprirent en mars 1943, avant un nouvel arrêt d’avril à juin. Pour les autorités allemandes, la faute en revenait au régime de Vichy qui, s’il était prêt à collaborer à l’arrestation et la déportation des Juifs étrangers, freinait le processus pour les Juifs français. En quinze mois, de mars 1942 à avril 1943, ce sont 49 9521[i] juifs essentiellement étrangers qui ont été déportés. Brunner, en poste pendant dix mois en France, a fait déporter 23 951Juifs : c’est lui qui a orchestré la déportation des Juifs de nationalité française.

 

Cependant l’ampleur numérique ne fut pas la même : la politique antijuive, les méthodes d’arrestation ainsi que les modalités de déportation ont évolué.

 

À travers l’étude du convoi n° 66, il est possible d’appréhender un moment de la déportation des Juifs de France, en partant de leur arrestation et de leur internement. Mais il est également possible d’envisager une approche sociologique de cette déportation : comment ces 1 153 Juifs se retrouvent- ils, ce jour-là, sur le quai de la gare de Bobigny, dans les mêmes wagons plombés ? Qui sont-ils et que deviennent-ils dans l’enfer des camps nazis ?

 

La méthode de la traque

 

Désormais, la Police française allait participer aux arrestations et fournir les listes demandées depuis des mois par les Allemands. Ce tournant fut symbolisé par la rafle du 10 janvier 1944 à Bordeaux

 

Les 1 153 Juifs du convoi furent arrêtés selon différentes méthodes. Pour la majorité d’entre eux, elles ressortissent de la logique de la traque : ce furent des arrestations individuelles ou familiales menées par des Allemands (Gestapo, Feldgendarmerie) et des Français (policiers, gendarmes, miliciens). Elles touchèrent l’ensemble du territoire français : la traque fut menée de façon méthodique et étendue. Les déportés du convoi n° 66, arrêtés pour l’immense majorité entre septembre 1943 et janvier 1944, furent pris dans 51 départements différents. Chaque circonstance d’arrestation est singulière ; il est difficile de définir une typologie au sein de cette méthode de la traque. Les arrestations ont lieu en général au domicile après dénonciation, filature ou enquête administrative, et parfois, lors d’une tentative de passage en Suisse ou en Espagne. Les arrestations de ce type se déroulaient de façon discrète et laissaient peu de trace, contrairement aux opérations d’envergure que sont les rafles, qui attiraient l’attention de l’opinion et bien souvent les familles des déportés n’avaient aucune idée de la façon dont les leurs avaient disparu.

 

Une même famille fut par exemple arrêtée à Mouxy, en Haute-Savoie, à l’Hôtel de l’Hermitage où elle était repliée. Deux générations figurent parmi les neuf membres de la famille. Six frères et sœurs adultes : Sonia et Léa Karyo, les plus âgées, Estreya, Aron, Isidore Karyo et Marguerite Vovk; et les trois enfants de Marguerite : Philippe (14 ans), Daniel (10 ans) et leur sœur de 8 ans.

Dans la nuit du 23 décembre 1943, des policiers français se présentèrent à leur domicile, annonçant qu’ils avaient été dénoncés comme Juifs. Les policiers ont mandat d’arrêter cinq personnes. Il se déroule alors un marchandage : en échange de l’or que la famille a enterré dans le jardin, les policiers acceptent de s’en tenir à leur mandat et de n’arrêter que cinq personnes sur les neuf présentes. La famille demande que les plus âgées soient épargnées et les policiers acceptent de ne prendre que quatre adultes mais exigent alors que l’ensemble des enfants présents soit arrêté, ou seulement le plus âgé. Les quatre frères et sœurs d’âge moyen : Estreya, Aron, Isidore et Marguerite ainsi que l’aîné des enfants de Marguerite : Aron (14 ans) partent avec les policiers français. Ils ont accepté leur arrestation pour sauver Sonia et Léa, les plus âgées, et les deux plus jeunes enfants[ii]



Le tournant dans la mise en œuvre des rafles de Juifs français

 

Un nombre important de Juifs du convoi n° 66 (455) fut victime de rafles pratiquées en province. Parmi eux, 187 furent arrêtés dans la région bordelaise au cours de deux rafles : la première les 20 et 21 décembre 1943 ; la seconde les 10 et 11 janvier 1944. Ces rafles de Bordeaux peuvent être vues comme le tournant dans la mise en place des rafles de Juifs français. En effet, les autorités françaises refusaient, à l’été 1943, d’arrêter des Juifs français, de transmettre les listes de Juifs français aux Allemands. Or, ceux-ci étaient déterminés à arrêter tous les Juifs déportables de France, y compris les Juifs de nationalité française.

 

Aloïs Brunner voulait rattraper l’échec de l’opération de ratissage systématique menée au mois de septembre dans la région de Nice où beaucoup de Juifs s’étaient réfugiés[iii] . Durant trois mois, il dirigea lui-même l’opération, qui devait aboutir à l’arrestation de 25 000 Juifs, étrangers et français, et au final n’en concerna que 2 500. Il incitait les directions régionales de la Sipo-SD à procéder à des rafles de Juifs sans distinction de nationalité.

 

Devant les réticences des Français, les Allemands organisèrent leurs propres rafles, comme celle de décembre 1943 à Bordeaux. Cependant, cette opération fut un échec relatif puisqu’elle aboutit à l’arrestation de 108 Juifs.

 

C’est dans la période qui sépare ces deux rafles qu’un changement brutal se produisit au sein des dirigeants vichyssois. Bousquet, chef de la Police française, qui représentait la principale force d’opposition à la déportation des Juifs français et, surtout, à leur arrestation par la Police française, fut remplacé à la demande des Allemands par Darnand, chef de la Milice, qui modifia totalement la politique française concernant les Juifs français.

 

Désormais, la Police française allait participer aux arrestations et fournir les listes demandées depuis des mois par les Allemands. Ce tournant fut symbolisé par la rafle du 10 janvier 1944 à Bordeaux. Après l’échec relatif de la rafle de décembre, les Allemands avaient compris que le concours de la Police française leur était nécessaire.

La rafle de janvier toucha 364 personnes dont plus de 50 enfants.

 

Une composition sociologique marquée par un nombre important de Juifs français

 

Le convoi du 20 janvier 1944 emporta vers Auschwitz 539 femmes (47 %) et 614 hommes (53 %). Des enfants furent déportés par ce convoi : 81 étaient âgés de moins de neuf ans, (7 %) dont 8 de moins de deux ans. L’âge du plus jeune garçon qui échappa à la sélection et au gazage à l’arrivée à Auschwitz, Philippe Vovk, était de 14 ans. Si l’on prend son âge comme limite de l’enfance au sein du convoi, on trouve 144 déportés âgés de 14 ans ou moins, soit 12,5 %. Le déporté le plus jeune était Alain Gross né le 29 septembre 1943, donc âgé de trois mois, arrêté par la Police française, lors de la rafle des 10 au 11 janvier 1944 décidée par les Allemands en Gironde. La déportée la plus âgée, Fanny Neumann, née le 17 septembre 1858, avait 85 ans ; elle avait été arrêtée en janvier 1944 à Paris.

L’étude a révélé la prépondérance des Français au sein de ce premier convoi juif de l’année 1944. En effet, ils représentent 53 % de l’ensemble des déportés. Il prend place au moment où la déportation des Juifs de nationalité française devient systématique. Ainsi, Hélène et Albert Samuel, les parents de Raymond Aubrac, de nationalité française —Albert étant de plus un ancien combattant— furent arrêtés le 26 novembre 1943 à Lyon. Après un séjour au Fort Montluc, ils furent transférés à Drancy le 7 janvier 1944. Ils n’y restèrent que 13 jours avant leur départ pour Auschwitz, où ils furent gazés.

 

Les durées d’internement des Juifs déportés le 20 janvier 1944

 

Pour beaucoup d’entre eux, ces camps de travail ne furent jamais que l’antichambre de Drancy, avant Auschwitz. Les 222 Juifs de la WOL III arrêtés en janvier 1944 furent déportés à Auschwitz par le convoi n° 66.

 

La provenance des déportés du convoi n° 66 est très diversifiée : ils venaient « des quatre coins de la France » et leurs lieux d’internement furent multiples. Ceux arrêtés en région parisienne ne connurent, pour la majorité, que le camp de Drancy, où ils furent internés immédiatement ou peu après leur arrestation. Ceux arrêtés et internés en province firent l’objet d’un transfert à Drancy, avant leur déportation. Il y eut un phénomène de centralisation sur Drancy tendant à un regroupement rapide de tous les Juifs potentiellement déportables. Certains transports amenèrent moins de cinq personnes : ils provenaient de petites villes de province d’où ils partaient au rythme des arrestations. Ce système des petits convois, moins repérables, concerna autant de personnes que les transports massifs. D’autres transferts furent plus conséquents, et comportèrent pour le convoi n° 66, entre 15 et 196 personnes. Ils furent organisés en vingt jours, entre le 24 décembre et le 13 janvier. La quasi-totalité des Juifs des convois de ces 20 derniers jours fut déportés le 20 janvier.

 

Dans d’autres cas, la durée d’internement a pu être prolongée. Les Juifs internés dans les Ardennes y arrivèrent entre 1941 et 1942. Ces Juifs furent utilisés comme ouvriers agricoles au service de la Wirtschaftoberleitung, direction générale de l’agriculture, qui était une « administration allemande chargée de l’exploitation des meilleures terres agricoles en Zone interdite au profit de la société Ostland. »[iv] La WOL était partagée géographiquement en cinq circonscriptions dont l’une, la WOL III, était celle des Ardennes. L’implantation et l’expansion de cette société allemande s’est faite à travers de grandes spoliations qui commencèrent à l’automne 1940 alors que beaucoup d’habitants des régions du Nord de la France avaient fui vers le Sud lors de l’exode.

 

Les autres sources de main-d’œuvre furent des prisonniers de guerre français, des ouvriers agricoles souvent locaux et des Polonais emmenés en France avec leurs familles ; l’ensemble de la main-d’œuvre put représenter jusqu’à 3 000 ou 4 000 individus dans les Ardennes. Parmi eux, il y eut quelque 600 Juifs français arrivés entre 1941 et 1942. La WOL III employa une main-d’œuvre juive issue surtout de la région parisienne. Leur internement dans les Ardennes fut le résulta de deux processus différents : l’un avait pour origine une campagne de recrutement de juifs immigrés, orchestrée en octobre 1941, par l'Union générale des Israélites de France (UGIF), afin de les engager à travailler pour le compte de l'Ostland par le biais des colonnes d'Informations juives ; l’autre correspondait au transfert dans les Ardennes de Juifs raflés à l’été 1942 et envoyés par familles entières, comme ce fut le cas de Chaja Winograd et de ses enfants, Georges (dix ans) et Myriam (deux ans). Ces Juifs furent dispersés en petites unités dans différents camps situés dans des villages. « Les prisonniers civils furent autorisés à faire venir leur famille sur place, une maison, libre d’occupation, leur était alors attribuée. Ce régime de faveur n’avait en réalité d’autre but que de contrôler la famille entière. »[v] Les adultes travaillaient aux champs, les enfants allaient à l’école avec ceux du village et étaient mis à contribution au moment des moissons.

 

La liquidation des camps de travail de Juifs s’opéra par le biais d’une grande rafle organisée par les Allemands le 5 janvier 1944 : 178 Juifs de la WOL furent alors arrêtés, mis dans des camions et envoyés à la gare de triage de Charleville, d’où ils furent immédiatement transférés à Drancy. 42 juifs furent transférés de Charleville à Drancy le 7 janvier 1944 puis deux autres, le 15 janvier. Les Juifs purent recevoir l’aide de la Résistance ardennaise pour s’enfuir. Elle contribua notamment au sauvetage de nombreux enfants juifs ; mais pour beaucoup d’entre eux, ces camps de travail ne furent jamais que l’antichambre de Drancy, avant Auschwitz. Les 222 Juifs de la WOL III arrêtés en janvier 1944 furent déportés à Auschwitz par le convoi n° 66 : douze d’entre eux sont revenus, onze hommes et une femme, soit 5,4 %.

 

Les déportés du convoi n° 66 ont donc subi un internement de durée très différente de l’ordre de 44 mois pour les uns et d’un mois ou moins pour les autres, c'est-à-dire la grande majorité, soit 60 % de ceux du convoi étudié : ils furent ainsi déportés peu de temps après leur arrivée à Drancy. La mission du SS Aloïs Brunner en charge depuis l’été 1943 du camp de Drancy et de la « Solution finale » en France, était de relancer les déportations qui avaient connu une baisse très importante. Toutefois, jamais les convois de déportation constitués par Brunner ne purent atteindre la fréquence ni l’importance numérique des convois de 1942 et de début de 1943. La norme de 1 000 déportés par convois ne fut pas toujours respectée. À partir de juillet 1943 et jusqu’en août 1944, Brunner eut la charge de constituer les listes : dans de nombreux cas le nombre de déportés excéda cette limite : neuf convois dépassèrent les mille déportés. Le convoi n° 66, quant à lui, en compta 1 153. Il illustrait l’acharnement dont fit preuve Brunner dans l’accomplissement de sa tâche, son ambition étant de déporter le plus grand nombre de Juifs, au moment où c’était possible.

 

Le transport et l’arrivée à Auschwitz

 

Ce qui les frappe, ce sont également ces hommes qui les attendent sur le quai, ces « ombres en “pyjamas” » (Sima Vaisman), ces « individus faméliques, tout loqueteux et qui n’ont pas de cheveux » (Léon Lehrer), « habillés de vêtements rayés comme des bagnards.» Ces « fantômes» tentent d’apporter une aide, précieuse puisqu’unique, aux nouveaux arrivants, choqués et perdus

 

Le convoi n° 66 fut formé le 19 janvier 1944. Ceux qui figuraient sur la liste furent appelés par les chefs de bloc de Drancy, rassemblés et mis à l’écart des autres internés jusqu’à leur départ, le lendemain matin. On vint les chercher en bus pour les conduire à la gare de Bobigny. Là, ils furent chargés dans des wagons plombés et subirent un trajet de trois longs jours. Certains témoins comme Isaac Borne occultent totalement ce voyage de l’horreur de leurs souvenirs. Léon Lehrer, en revanche, en garde un souvenir précis : « Une centaine de personnes entassées si longtemps, ça a soif, ça a faim, ça a tous les besoins quotidiens de l’être humain… Alors ça coule de chacun, à l’endroit où il est. Et ça pue, et ça dure, et c’est long, et c’est impensable, et ça dépasse le possible… Et c’est quand même comme ça… Je sais que c’est vrai parce que je le vis, parce que j’ai soif et que ma souffrance est inimaginable quand on ne la subit pas. »« Jamais aucun metteur en scène ne rendra l’impression que nous fit cette arrivée. C’est la nuit, il fait un froid glacial, vif, sec. Des réflecteurs puissants éclairent d’une clarté vive et blanche le train et la voie ferrée. Nous descendons des wagons, poussés par les Allemands sur un quai boueux, où nos pieds s’enfoncent de vingt centimètres dans une terre gluante », se souvient Suzanne Birnbaum. Pour Isaac Borne, cette arrivée lui laisse le souvenir d’une « brutalité incroyable », une sensation d’encerclement par des coups, des cris ; au milieu de tout cela et de « tout ce que l’on pourrait raconter », il garde un « souvenir très précis : un SS voulait séparer une mère et son bébé ; comme cette dernière ne se laissait pas faire, il a fracassé la tête du bébé par terre. » C’est le premier acte de barbarie pure dont il fut témoin.

 

Ce qui les frappe, ce sont également ces hommes qui les attendent sur le quai, ces « ombres en “pyjamas” » (Sima Vaisman), ces « individus faméliques, tout loqueteux et qui n’ont pas de cheveux » (Léon Lehrer), « habillés de vêtements rayés comme des bagnards. » Ces « fantômes » tentent d’apporter une aide, précieuse puisqu’unique, aux nouveaux arrivants, choqués et perdus. « En yiddish ou en français, ils (…) murmurent : Si tu veux vivre, ne touche pas à ta valise. (…) Si on t’interroge, dis que tu as un métier. (…) Redresse-toi et n’aie pas l’air malade… » La descente du train, c’est aussi la première rencontre avec les SS chargés de la surveillance d’Auschwitz : « Arrivent vers nous les soldats allemands, dans leur impeccable tenue militaire, brillantes bottes noires montant à mi-jambe, (…). Leurs regards s’abritent sous la visière du képi. Quelques-uns tiennent des chiens en laisse. (…) Je sens qu’ils sont nos bourreaux en puissance. »

 

1 153 Juifs à Auschwitz

Ils sont 1 153 qui descendent des wagons plombés le 23 janvier 1944 à Auschwitz. Seul un quart du convoi entrera au camp. 862 hommes, femmes et enfants furent sélectionnés, chargés sur des camions et emmenés directement à la chambre à gaz. Sur les 291 déportés, 236 hommes et 55 femmes, qui reçurent un matricule cette nuit-là, seuls 194 hommes et 31 femmes ont pu être identifiés grâce aux archives consultées, près de 80 % de l’ensemble. Sur cet échantillon, la tranche des hommes entrés au camp se situait entre 14 et 50 ans et celle des femmes entre 17 et 43 ans. La sélection des femmes fut drastique comparée à celle des hommes. Si 43 % d’entre eux entrèrent au camp, seuls 12 % des femmes échappèrent à la chambre à gaz.

 

Parmi les rescapés, tous racontent une séparation rapide entre le groupe des hommes et celui des femmes et des enfants. Les hommes furent examinés de façon méthodique : Léon Lehrer évoque ce « bref examen de chacun de nous : tâter nos épaules, regarder nos dents, nos mains, notre peau, apprécier notre allure générale. Et, d’un signe de sa baguette, le commandant nous envoie, les uns à droite, les autres à gauche. » Au contraire, la sélection des femmes ne se fit pas de façon ordonnée. Suzanne Birnbaum se souvient : « brusquement, une lampe électrique est braquée sur ma figure et j’entends qu’on me demande :“Vous êtes seule ?” Je réponds : “Seule.” Un officier allemand m’indique un endroit un peu plus loin et dit : “Par là.” Je rejoins un groupe d’une dizaine de jeunes femmes qui attendent. Une à une, d’autres femmes nous rejoignent, toutes jeunes et fortes d’apparence.»

 

La mise au travail

 

Les 291 hommes et femmes qui entrèrent au camp d’Auschwitz, ce 23 janvier 1944, furent emmenés vers les parties du camp où ils devaient être affectés. Tous subirent d’abord les étapes de la déshumanisation : déshabillage, désinfection, tonte, tatouage (du numéro 172 611 au 172 846 pour les hommes et du 74 783 au 74 797 et du 74 835 au 74 874 pour les femmes) puis distribution de l’uniforme des Häftlinge, le pyjama rayé, pour les hommes ; de « hardes » dépareillées, pour les femmes. Suzanne Birnbaum les décrit ainsi : « Une vieille chemise, une robe, un manteau, un châle, des bas, des chaussures et des bouts de chiffons déchirés qui doivent servir à tenir les bas. (…) Nous n’osons plus nous regarder, et pour la première fois des larmes nous montent aux yeux. Qu’ont-ils fait de nous si rapidement ? Nous commençons à comprendre tout ce qui nous attend, et c’est la minute de grande désespérance, de détresse. »

 

Les hommes du convoi n° 66 furent affectés à Auschwitz III Monowitz, constitué autour de l’usine de l’IG-Farben pour la fabrication du caoutchouc synthétique ou « buna » qui finit, dans le vocabulaire du camp, par devenir le nom de l’usine : on travaillait à Buna. Pour Léon Lehrer, Isaac Borne et son frère Joseph, ce qui leur a sauvé la vie, c’est d’avoir pu obtenir un travail à Buna à l’abri. « Je mesure la chance que j’ai eue d’obtenir ce poste de travail, à l’abri du froid et des coups. Dorénavant, ma vie se partage en deux parties très distinctes : d’une part, (…) les cérémonies de l’appel et des pendaisons, la peur de me faire tuer pour un oui ou pour un non, l’obligation d’être sans arrêt sur le qui-vive, même la nuit. Et, d’autre part, le travail à la Buna où je peux souffler un peu, me mettre à l’abri des regards, un lieu où je vais pouvoir réapprendre l’amitié et un semblant de vie sociale ». Philippe Vovk n’eut pas cette chance, il fut affecté tout au long de son séjour à Monowitz aux Kommandos les plus difficiles : placement de câbles électriques et conduites d’eau, pavement des routes, déchargement des wagons de ciment, de briques, de pierres, de sable…

 

Les femmes du convoi n° 66 furent détenues à Auschwitz II Birkenau. Elles furent dispersées dans différents Kommandos de travail et différents blocs d’habitation. Comme pour les hommes, le travail des femmes à Auschwitz pouvait être insupportable ou plus clément. La solidarité fut l’une des données importantes que chacun de ces survivants met en avant pour expliquer sa survie. Il ne s’agit pas tellement de solidarité au niveau global mais plutôt de coups de pouce, d’informations qui leur donnèrent « une ligne de conduite », leur permirent de s’orienter correctement, de savoir prononcer leur matricule en allemand, de se faire affecter dans « le bon » Kommando.

 

L’une des particularités du camp d’Auschwitz- Birkenau, à la fois camp de concentration, de travail et d’extermination, réside dans les sélections régulières. Les détenus devaient mourir d’épuisement par le travail mais si leur condition physique était jugée insuffisante pour le travail, ils étaient le plus souvent mis à mort par gazage. Philippe Vock raconte : « Et baraque après baraque, le SS passait et désignait les futurs gazés. Nous devions nous mettre tout nus et, notre carte avec notre numéro à la main, nous défilions devant lui ; il nous indiquait notre place à prendre ; à droite ou à gauche, selon son choix. (…) Le lendemain en allant chercher le pain, ils étaient retenus (…) et étaient emmenés en camions à la chambre à gaz.» Sima Vaisman était médecin au Revier du camp des femmes de Birkenau. Ayant connu les sélections de l’intérieur, elle explique : « lorsque le nombre de survivantes du Revier était grand, on faisait de temps en temps des “sélections”, pour ne pas nourrir toutes ces bouches inutiles (…). Mais ces médecins étaient des esthètes, ils ne conservaient que des corps jolis. » Elle raconte la terreur, l’affolement, la folie qui s’emparaient de toutes celles qui passaient la sélection mais surtout des sélectionnées, parquées dans un bloc, interdites de sortie, qui hurlaient lorsque les Allemands venaient les chercher, tentaient de fuir. Et c’est alors qu’apparaît cette phrase, le titre donné à son témoignage : « Parmi les cris, un chant s’élève. » Car il arrivait que les condamnées se mettent à chanter : « l’hymne juif, en grec, La Marseillaise souvent aussi… »

 

Transferts, évacuations, libérations

 

Les trajectoires de 225 des 291 déportés entrés au camp ont pu être déterminées. Parmi eux, 116 semblent être restés à Auschwitz jusqu’à leur mort ou leur libération. Les autres connurent des transferts vers d’autres camps de concentration ou Kommandosextérieurs de ces camps. La majorité de ces transferts intervint dans le contexte de l’évacuation d’Auschwitz[vi] ; c’est le cas pour 88 d’entre eux. Ils furent évacués vers Ravensbrück et Bergen-Belsen pour les femmes ; Buchenwald, Dora, Gross Rosen et Gleiwitz pour les hommes.

 

L’évacuation du camp, menacé par l’avance des troupes soviétiques, commença le 18 janvier 1945, dans l’affolement, la précipitation et la désorganisation. Ce fut le 27 janvier que les troupes soviétiques libérèrent le camp et les détenus trop malades pour être transportés et ceux qui avaient réussi à se cacher et à échapper au calvaire de l’évacuation. Pour les autres, une longue errance à travers la Pologne et l’Allemagne commença, de camp en camp. Les transferts furent nombreux et les contingents étaient le plus souvent divisés dans le camp d’arrivée avant une nouvelle évacuation Pour Isaac Borne, Léon Lehrer et Philippe Vovk, cela commença par une « Marche de la Mort » jusqu’à Gleiwitz, puis un transport en train à destination de Buchenwald. Philippe Vovk le qualifia de « train cimetière ou “Radeau de la Méduse”. »

 

Tous décrivent un trajet long et pénible. Les déportés furent tassés dans les wagons, pendant sept jours. Arrivés à Buchenwald, les déportés venus d’Auschwitz furent parqués dans le « petit camp », dans lequel ils retrouvèrent des évacués de l’Est : « c’est là que je m’aperçus bien que c’était la débâcle.» Certains purent rester à Buchenwald comme Isaac Borne et son frère, d’autres furent transférés vers d’autres camps ou Kommandos d’où ils furent libérés. Léon Lehrer fut libéré au cours d’une « Marche de la Mort » : sa libération intervint par hasard, après cinq semaines de marche, durant lesquelles les déportés parcoururent près de mille kilomètres, lorsqu’ils croisèrent des chars américains.

 

À la Libération, que sont devenus les déportés du convoi n° 66 ? Il faut rappeler que les trois quarts des 1 153 Juifs du convoi n° 66 furent sélectionnés et gazés le 23 janvier 1944. Parmi les 291 Juifs immatriculés à Auschwitz, 199 (68,4 %) ne revinrent pas. Au final, il en revint 92 de déportation : 62 hommes et 30 femmes, soit 8 % du groupe parti de Drancy le 20 janvier 1944.

 

Nina WINOGRAD

Nina WINOGRAD est étudiante en histoire à l’Université de Caen Basse-Normandie. Elle fait partie de l’équipe de recherche mise en place par la FMD, le Centre de Recherches d’Histoire Quantitative (CRHQ) et le ministère de la Défense au Bureau des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (BAVCC) à Caen. Elle a soutenu en novembre 2009 un mémoire de Master 1 intitulé Un convoi de déportés juifs. Le transport Drancy-Auschwitz du 20 janvier 1944 (mention TB) et prépare un Master 2 consacré aux Juifs de France immatriculés au camp d’Auschwitz. Elle est l’arrière-petite-fille de Chaja Winograd déportée à Auschwitz dans le convoi n°66 et gazée à l’arrivée, à l’âge de 42 ans.

 

Source : http://www.fmd.asso.fr/updir/37/mv_65_1.pdf



[i] Total des déportés de 1942 : 41 951 ; auxquels il faut ajouter 8 001 déportés des convois de mars et avril 1943.

[ii] Sur les cinq déportés de la famille Karyo-Vovk, tous furent immatriculés au camp d’Auschwitz le 23 janvier 1944. Estreya, Isidore, Marguerite, Philippe rentrèrent de déportation ; Aron disparut lors des évacuations en avril 1945.

[iii] Jusqu’au 8 septembre 1943, le Sud-Est de la France, de Grenoble à Nice faisait partie de la zone d’occupation italienne. Les autorités italiennes refusaient d’appliquer les mesures antijuives et de procéder à des arrestations. Cette zone était donc devenue un lieu de refuge pour les Juifs de France.

[iv] DARDART Gérald, « Les travailleurs juifs de la WOL III », Le Patriote résistant, FNDIRP, septembre 2007.

[v] Rapport de la Gendarmerie Nationale du 4 décembre 1959, BAVCC, Dossier de ARONSON Abraham, mort en déportation.

[vi] Treize hommes et cinq femmes furent transférés, au milieu et à la fin de l’année 1944 vers Bergen- Belsen, Gross Rosen, Sachsenhausen, Flossenbürg ou Dachau.

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commentaires

D
Les Juifs de la WOL des Ardennes n'étaient PAS internés! Ils furent 732 au total, recrutés comme volontaires par l'UGIF Union Générale des Israélites de France, en échange d'une promesse de protection des biens et des familles (illusoire) , et d'une promesse de salaire (en réalité un demi salaire).<br /> Ils viennent en train de ligne, sans gardiens, ne sont pas enfermés, mais logés dans les maisons vidées par l'exode, ont une permission de 5 jours par trimestre....et fraternisent avec les ruraux ardennais, qui en sauveront 110 lors de la rafle des 4 et 6/1/44.<br /> Ce cas unique en France , advenu grâce à la toute puissante entreprise Ostland chargée de mise en culture de la zone interdite, était désigné comme "expérience" par les Nazis, qui avaient demandé 6000 volontaires ...<br /> Je tiens toutes les archives à disposition... après 18 ans de recherches. voir aussi le film : "Les Juifs de la zone interdite", de Francis Gillery.
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