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10 août 2017 4 10 /08 /août /2017 23:33

L'avocat de la veuve du prix Nobel de la paix a porté plainte auprès des Nations unies pour «disparition forcée et arbitraire».

 

Le 13 juillet, en Chine, le poète Liu Xiaobo mourait en détention d’un cancer du foie. Il avait été condamné en 2009 pour «subversion du pouvoir de l’Etat» après une pétition demandant au Parti communiste chinois de respecter les libertés fondamentales des citoyens. Un an plus tard, il recevait le prix Nobel de la paix. Pour sa femme Liu Xia, photographe et plasticienne, empêchée de venir chercher le prix à Oslo et mise en résidence surveillée, c’était le début d’une longue descente aux enfers. Depuis la mort de son mari, on ne sait où elle se trouve. Jared Genser, basé à Washington, représente le couple depuis 2010. L’avocat, qui a défendu, entre autres, les Nobel Aung San Suu Kyi, Desmond Tutu et Elie Wiesel, explique à Libération pourquoi il a déposé auprès des Nations unies, le 3 août, une plainte pour «disparition forcée».

Quels ont été vos derniers contacts avec Liu Xia, la femme de Liu Xiaobo ?

Quand j’ai commencé à les représenter, Liu Xiaobo était déjà en prison. Je n’ai jamais pu rencontrer non plus Liu Xia, mais je lui ai parlé au téléphone durant l’été et l’automne 2010, avant que, une semaine après la remise du prix Nobel à son mari, un cordon de sécurité très strict soit imposé autour d’elle. Je n’ai pu avoir aucun contact direct avec elle durant des années, jusqu’à l’annonce du cancer de son mari (en juin dernier, ndlr). J’ai pu lui parler par l’intermédiaire d’un ami, puis, en toute confidentialité, via son frère, jusqu’au 11 juillet. Le 15 juillet, elle a assisté à la dispersion forcée des cendres de son mari dans la mer. Depuis, nul ne l’a vue ni entendue. Des sources anonymes suggèrent qu’elle est revenue à Pékin (où l’accès à son immeuble est interdit), mais c’est invérifiable. Ni ses plus proches amis, qu’elle avait revus lors de l’agonie de Liu Xiaobo, ni son avocat local n’ont eu de ses nouvelles.

Pourquoi avoir déposé une plainte auprès du groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires des Nations unies ?

Nous voulons démontrer que les faits ne collent pas avec l’assurance du gouvernement chinois selon lequel elle est libre. L’intention n’est pas juste d’attirer l’attention sur le fait qu’elle a disparu, mais aussi sur la spécificité de sa disparition. Ce qui lui arrive est, selon les lois internationales, une disparition forcée et arbitraire. Il faut rappeler que Liu Xia ne peut pas être considérée comme une dissidente. Elle est seulement l’épouse du prisonnier politique chinois le plus célèbre. En tant que citoyenne chinoise, elle n’a commis aucun crime : elle devrait être libre de posséder un passeport, de se déplacer à l’étranger pour recevoir un traitement médical et d’habiter où elle veut. Elle a déjà exprimé son désir de voyager à l’extérieur du pays et, selon moi, ses demandes devraient être honorées. Le groupe de travail a envoyé ses questions au gouvernement chinois mais le processus onusien est très long. Si je n’ai pas de réponse, je déposerai une nouvelle plainte.

Vous avez défendu de nombreux prisonniers politiques. Le cas de Liu Xia et Liu Xiaobo est-il exceptionnel?

Le niveau de douleur infligé non seulement à Liu Xiaobo, mais aussi sa famille, est exceptionnel. Je savais depuis le début que le représenter serait difficile car je devrais me battre contre la Chine. Lorsqu’il a obtenu le Nobel de la paix, j'ai su que cela serait encore plus dur. Mais jamais je n’aurais imaginé à quel point Liu Xiaobo serait maltraité et à quel point ce serait si grave. Emprisonner Liu Xia dans un endroit inconnu est une violation claire de la loi internationale. En ce XXIsiècle, la Chine n’est pas inquiétée pour ces violations des droits humains en grande partie à cause de l’autocensure dont font preuve les grandes démocraties occidentales. Elles semblent avoir peur de s’opposer à la Chine, et ce silence permet au gouvernement chinois de devenir de plus en plus agressif dans sa pression sur les dissidents. 

Les autorités chinoises craignent-elles qu’elle fasse sortir des écrits de son mari ou qu’elle devienne une icône ?

Je ne peux ni spéculer ni m’exprimer sur ce qui motive le gouvernement chinois. Mais selon certaines sources, la Chine dépense plus de 140 milliards de dollars par an pour sa sécurité intérieure et 130 milliards de dollars sur son budget militaire, ce qui prouve qu’elle a peur. Les autorités ont montré qu’elles ne veulent pas seulement se débarrasser d’un dissident qui ne leur obéit pas mais aussi s’assurer qu’une énorme souffrance soit imposée à la famille pour créer un exemple et empêcher les autres dissidents de parler. Liu Xia est, depuis presque sept ans maintenant, retenue en résidence surveillée sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elle, sans aucun procès. Pendant les premières années de sa détention, elle pouvait voir ses parents, puis ceux-ci sont décédés. Elle a ensuite pu voir son mari, il est désormais mort. Elle n’a pu ni communiquer avec sa famille, ses avocats, ses amis ni avoir accès à Internet pendant très longtemps. Après le décès de son mari, nous avons cru qu’elle pourrait arrêter de souffrir, mais ce n’est pas le cas. Il est impératif que la communauté internationale s’élève d’une seule voix et dise : "C’est assez, elle a assez souffert".

 

Libération 10 août 2017 Laurence Defranoux 

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