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25 juin 2016 6 25 /06 /juin /2016 23:38

« L’Europe vacille et les nations renaissent » : c’est avec un sourire jusqu’aux oreilles que l’extrême droite française salue la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne. Elle décomplexe ainsi tous les souverainistes, de gauche comme de droite, trop contents de voir leur prophétie destructrice prendre corps.

Ces nationalistes honteux ou assumés ont bien compris une chose : le Brexit est une catastrophe pour les Européens mais une grande chance pour tous les égoïsmes nationaux. Disons le tout de suite : l’Union Européenne est imparfaite, mais l’Europe reste le seul espace politique capable de traiter les défis transnationaux auxquels nous devons faire face. Qui peut croire sérieusement que nous pourrons régler, cachés derrière nos frontières, la crise migratoire, le dérèglement climatique, les bouleversements économiques ? Que l’Europe n’assume pas encore complètement cette responsabilité, il faudrait être fou pour le nier. Reste que le jeu de dupes doit cesser. Si l’Europe patine, la responsabilité du rejet qui s'exprime en premier lieu dans les périphéries, loin des métropoles qui concentrent les réseaux économiques et culturels, n’est pas forcément à Bruxelles, mais peut-être dans chaque capitale européenne.

Qui provoque la paralysie de l’Union Européenne ? Qui interdit à l’espace européen de se construire comme une place forte citoyenne ? Qui fait trébucher la solidarité entre les peuples ? Ne nous y trompons pas : le Brexit est davantage le résultat de la résistance des « lobbys nationaux » que de la faiblesse de l’idée européenne. Ce sont eux qui depuis des années minent les fondations politiques de l'UE, freinent des quatre fers dès que la Commission ou le Parlement proposent d’encadrer la finance ou d’augmenter les protections sociales et environnementales.

Face à ces puissances rétrogrades, nous devons recréer du désir pour un espace commun. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de « prêcher l’Europe ». Il faut être honnête, le Brexit est aussi notre échec, à nous les pros européens. L’échec d’une campagne défensive qui a beaucoup agité les peurs des conséquences économiques de la sortie du Royaume-Uni de l’UE, jusqu’à réduire l'idée européenne à un simple pacte commercial.

Nous avons oublié le rêve européen ou peut-être avons-nous simplement perdu l’idée qu’elle n’est pas née dans un bureau climatisé, mais sur les décombres de la Seconde guerre mondiale. La construction européenne, c’est avant tout une promesse de paix, de prospérité et de démocratie.

Nous avons à l’évidence gagné la paix, contre toutes les forces de haine. C’est une chose inestimable, les plus anciens d’entre nous s’en souviennent. Mais nous ne devons pas baisser la garde : les europhobes d’aujourd’hui ne sont que la réplique des nationalistes d’hier. En semblant défendre leur peuple, ils le précipitent dans la haine de l’Autre, qu’il soit migrant ou simple voisin. Défendre la construction européenne, c’est le seul moyen pacifique de promouvoir une souveraineté populaire.

Quant à la prospérité, elle a trop longtemps été dévolue à la seule responsabilité des marchés. Nous avons, plus que jamais, besoin de réinventer les nouvelles régulations et les nouvelles protections qui répondent aux besoins de notre monde. Il faut réinvestir l’échelon européen pour promouvoir des politiques ambitieuses de solidarité. Face aux marchands de peur qui tentent de faire passer l'immigration pour la source de tous nos maux, nous devons cesser d’esquiver, l’air gêné. Il faut reprendre l’offensive européenne et prouver qu’un monde meilleur se construira, non pas dans un repli identitaire et national, mais dans une prospérité partagée. Les jeunes britanniques ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en rejetant massivement le Brexit.

L’Europe doit pourtant à ces jeunes plus qu’elle ne donne aujourd’hui. Elle est à la croisée des chemins. La démocratie européenne est encore balbutiante. Le Parlement européen a récupéré du pouvoir, mais les institutions de l’UE restent peu lisibles et sous la direction des Etats. La souveraineté européenne doit se construire et s’incarner dans de véritables instances démocratiques. Elles ne seront acceptées par les peuples que si elles reposent véritablement sur le suffrage universel.

La première étape de cette reconquête européenne pourrait être l’organisation en 2019 de véritables élections européennes, avec des listes de candidats transnationales. Le candidat de la liste arrivé en tête deviendrait ainsi le chef d’un véritable gouvernement européen. La citoyenneté européenne est une autre piste. Qu’on puisse déconnecter la citoyenneté de la nationalité, ce serait un progrès formidable et une façon de respecter les différences tout en construisant une identité commune. Dotés d’un passeport commun, nous pourrions construire rien moins qu’une responsabilité démocratique européenne.

Face à la crise ouverte par le Brexit, nous avons la charge de donner un avenir à un héritage précieux. Le risque est évident : notre vieille maison européenne peut aujourd’hui être vendue à la découpe et dilapidée en petites coupures nationalistes. Mais nous avons aussi la possibilité de la rebâtir, pour y vivre mieux, pour la rendre accueillante, pour mettre à l’abri les générations futures.

Faisons le choix de l’avenir.

Emmanuelle Cosse

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