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11 mai 2010 2 11 /05 /mai /2010 22:40

 Il y a environ 8 jours, soirée TV pour regarder un film que je ne me souviens pas d'avoir vu, un film de 30 ans de Bertrand Tavernier; "le Juge et l'Assassin", beau film sur la folie et la justice.jugeetlassassin-copie-1.jpg

 

1893 : le sergent Joseph Bouvier (M. Galabru) apprenant qu'il est réformé à cause de ses brusques accès de violence tempérés par des crises de dévotion, part retrouver sa fiancée Louise Lesueur. Mais celle-ci refuse de l'épouser. Aveuglé par la douleur, il lui tire trois balles de revolver et tente de se suicider.

C'est un double échec : Louise n'en meurt pas et Joseph est condamné à vivre mais cette fois avec deux balles dans la tête. Le 1er avril de l'année suivante, Bouvier quitte l'asile de Dole où il était enfermé. La médecine l'a reconnu guéri et sain d'esprit, ce qui ne l'empêchera pas d'éventrer, d'étrangler, de violer plus de douze personnes en quelques mois. Il court les routes, hanté par le souvenir de Louise, tuant telle une bête fauve dans de subits accès de rage et implorant le pardon de Dieu qui lui a confié, croit-il, la mission de réveiller la France endormie, écrasée par l'injustice : il est l'anarchiste de Dieu !

Personne ne soupçonne Bouvier, les crimes étant trop éloignés les uns des autres, sauf le Juge Rousseau (P. Noiret) qui à force de déduction, a réussi à recomposer un signalement de l'assassin. Et lui permet de se retrouver enfin face à face avec Bouvier. Petit à petit, il va gagner la confiance du meurtrier. Séduit par le juge, Bouvier va peu à peu tout lui avouer, lui donnant des détails qui constituent des preuves irréfutables. L'assassin est alors manipulé par le juge, "héros" non sans reproche qui va jusqu'à succomber aux mêmes bas instincts que Bouvier. Celui-ci se sait malade et veut qu'on le soigne. Mais, au fond de lui-même, le juge croit que Bouvier simule la folie. Et le juge, aidé par les experts, va envoyer Bouvier à la guillotine.

Ce qui est passionnant,  dans cette histoire adaptée d'un fait divers du XIXe siècle, c'est l'affrontement de deux violences. Une violence démente, incontrôlable et une autre légale, répressive, insidieuse. L'une comme l'autre sont révélatrices des dérives d'une époque grisée de fanatismes. C'est l'époque où les dames font signer des pétitions « patriotiques contre le traitre Dreyfus » aux clochards contre une assiette de soupe, où l'on brûle les livres de Zola en place publique. C’est la bête inhumaine contre la bête civilisée. Le monstre violeur de petits bergers contre le notable aux vices cachés et à la vertu publique.

Tavernier dénonce une justice de classe et les excès du pouvoir. Bouvier le tueur dévot en sera pas tant jugé parce qu'il trucidait des chairs fraiches que parce qu'il émettait des théories dangereuses pour la société bourgeoise.

On peut tout au long du film relever les ressemblances avec notre époque : acharnement aveugle opposant le fou de Dieu et le fou du Droit, experts idéologues, opinion manipulée... Sans parler d’une notion qui traverse tout le film et dont Jean-Claude Brialy le procureur royaliste, maurassien et antisémite se fait à un moment donné le porte-parole cynique : "C'est un pauvre, il n'a aucune chance !"

Le film mélange l’intime et le collectif, fait le lien entre ce qui relève du fait-divers d’une société si prompte à traquer le monstre  avec des petits bergers victimes d’un fou en liberté,  et ce qui est du domaine de l’Histoire en couvrant d’un voile pudique le travail des enfants dans les mines, victimes d’un système économique qui s’apparente à la jungle.

Le 19ème siècle s’achève, le 20ème siècle des luttes sociales est à l’horizon.

 

 

 

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