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30 janvier 2011 7 30 /01 /janvier /2011 16:56

Un article de M Nicolas Braemer (la lettre du cadre territorial)

Philippe Meirieu est professeur en sciences de l'éducation à l'Université Lumière-Lyon 2, au sein de l'Institut des sciences et pratiques d'éducation et de formation. Il a inspiré de nombreuses réformes de l'enseignement, notamment la mise en place des IUFM.
Il est aujourd'hui Vice-président Europe Écologie-les Verts du Conseil Régional  Rhône-Alpes

Le modèle de l'école laïque et républicaine est-il en échec ?

Je ne crois pas que le modèle soit réellement en échec, mais il n'a pas su prendre la mesure des nouveaux ­défis auxquels nous sommes confrontés. Nous avons réussi à ­démocratiser l'accès à l'école d'une manière très volontariste depuis 1959 et la scolarité obligatoire à 16 ans : on a construit beaucoup de collèges et de lycées, créé les baccalauréats professionnels.
Nous n'avons en revanche pas réussi à ­démocratiser la réussite dans l'école. Tout le monde va aujour­d'hui à l'école et y va plus longtemps. Mais cette école ­reproduit les mêmes inégalités sociales que jadis, avec des effets psychologiques et ­sociologiques. Aujourd'hui, on ­incite les enfants des milieux populaires à rentrer dans l'école, mais quand ils n'y réussissent pas, parce que les conditions familiales, sociales et pédagogiques ne sont pas remplies, on leur laisse ­entendre que c'est leur échec parce qu'on leur a donné leur chance. Cela génère de l'inquiétude, du découragement, de la rancœur ou de la violence. C'est ce qui met en échec le ­modèle républicain : il permet de rentrer, mais ne fait pas réussir ceux qui sont à l'intérieur, ne leur permet pas d'avoir une véritable espérance de promotion sociale.

Que faudrait-il expérimenter ?

L'expérimentation doit être essentiellement pédagogique. Je suis partisan de choses très simples. Nous savons que les élèves réussissent mieux dès lors qu'ils sont encadrés par des équipes d'adultes solidaires et responsables. Aujourd'hui ce n'est pas le cas. Un élève ne voit jamais tous ses professeurs ensemble. Il n'y a pas d'équipes et pas de professeurs qui ont ensemble la responsabilité d'une centaine d'élèves et qui s'investissent, avec des moyens, pour les faire réussir. Or nous savons que partout où cela existe, ça marche. Il faut donc réfléchir à ce qui permettrait aux élèves d'être intégrés dans une dynamique collective de réussite et ce qui permettrait aux professeurs de suivre mieux les élèves, de les accompagner individuellement dans leur réussite, afin de compenser l'absence de cadre familial porteur de réussite.
Nous pouvons expérimenter des unités pédagogiques plus réduites : on estime que l'unité fonctionnelle d'encadrement, qui fonctionne sans coûter davantage, est de 10 adultes pour 120 élèves. Cela peut être par exemple 4 classes de la 6e à la 3e, ce qui permettrait en outre que les élèves s'entraident, car nous savons que c'est très efficace.

Est-ce une question de moyens financiers ?

Nous ne sommes pas aujourd'hui à moyens constants : ces moyens baissent car l'État se désengage. Or, nous savons que, plus la société veut intégrer des élèves en grande difficulté familiale et scolaire, plus cela coûte cher : il est ­démagogique de dire le contraire. Il faut donc souligner que la société tient un discours contradictoire, où elle demande la réussite de ceux qui sont le plus en difficulté, mais ne veut pas mettre les moyens nécessaires. Mais ce n'est pas qu'un problème de moyens : il y a aussi un problème de formation des enseignants, initiale comme continue, qui est sacrifiée.
Les collectivités ont un rôle tout à fait ­essentiel : les locaux, les centres de documentation, l'environnement... L'État doit tenir ses engagements, les collectivités ne doivent pas y suppléer, mais elles peuvent apporter un plus significatif en donnant aux équipes pédagogiques qui le veulent les moyens d'aller le plus loin possible dans la réussite de tous.

Faut-il maintenir le système des ZEP ou inventer autre chose ?

Il faut maintenir ce dispositif, mais le ­revoir. Il a été inventé en 1981 : nos banlieues n'étaient pas ce qu'elles sont aujourd'hui. Le véritable problème aujourd'hui, qui n'existait pas à l'époque, c'est cette absence de stabilité des équipes pédagogiques dans les établissements difficiles. Quand un jeune ­enseignant est nommé, il l'est toujours dans les zones les plus difficiles, où l'accompagnement est insuffisant pour lui donner envie de rester. Le turnover y est colossal et ravageur sur le plan ­pédagogique. La priorité est donc de stabiliser les équipes en donnant aux ­enseignants non pas plus d'argent, ils ne sont pas mercenaires, mais plus de moyens en accompagnement et en formation pour faire des choses intéressantes, par exemple un budget pédagogique supplémentaire. De ce point de vue, les collectivités doivent évoluer en donnant davantage là où c'est nécessaire, là où on a besoin du coup de pouce supplémentaire qui permettrait de faire.

Fallait-il supprimer la carte scolaire ?

La supprimer n'était pas une bonne ­mesure, mais il fallait la revoir, car elle était une manière d'assigner les gens à résidence dans leur quartier et de renforcer l'inégalité sociale. Mais la supprimer, c'était ouvrir les portes à toutes les dérogations pour les plus astucieux ou débrouillards. Les premiers effets se font déjà sentir : les établissements difficiles se vident des élèves qui pouvaient les tirer par le haut et se getthoïsent. C'est catastrophique pour le ­climat de ces établis­­­sements et pour l'espérance des élèves.
Il faudrait une carte scolaire « en camembert », qui s'appuie sur les transports et associe dans les mêmes établissements des milieux ­sociaux hétérogènes, pour ne pas ­dépasser le seuil de 30 % d'enfants en difficulté. Nous savons aujourd'hui qu'il est très difficile de s'en sortir au-delà de ce seuil, sauf à mettre des moyens ­colossaux.

La disparition programmée des RASED n'est-elle pas le fruit d'une volonté d'externaliser le traitement de la difficulté scolaire ?

Cette volonté existe, mais passe aussi par d'autres moyens, comme la création par l'État lui-même de prothèses, de ­dérivations permanentes, auxquelles les familles ne comprennent rien : soutien scolaire, accompagnement individualisé, accompagnement éducatif, aide individualisée... On dit aux gens qu'il n'y a plus rien de possible dans la classe, et qu'ils ne pourront s'en sortir que par ces dispositifs plus ou plus privés ou plus ou moins payants. Ça va dans le sens d'un individualisme dominant qui est contraire à l'investissement sur la réussite de tous. La disparition des ­RASED est à cet égard dramatique, comme l'est la dévitalisation de la classe en donnant comme message subliminal aux Français qu'il vaut mieux mettre leurs ­enfants en cours privés ou particuliers. Cela démobilise les élèves, les enseignants et la Nation tout entière sur son école.

Parmi les modalités d'organisation, une décentralisation de gestion et d'organisation de l'enseignement vous semble-t-elle pertinente ?

Je suis très réservé sur tout ce qui pourrait être une ouverture vers une privatisation larvée de l'Éducation nationale. Je souhaite que l'État garde ses prérogatives, avec des exigences et un cahier des charges fort. Si on peut aller vers des modes de recrutements dérogatoires, à étudier au cas par cas, il ne faut pas casser la machine Éducation nationale, car les collectivités elles-mêmes en pâtiraient. Très vite, l'État se désengagerait d'une partie des emplois et elles devraient s'y substituer sans y arriver.
Les collectivités ont en revanche d'autres moyens d'action : pour aider à l'expérimentation, pour contribuer à stabiliser les équipes enseignantes. Dans une ZEP, elles peuvent organiser l'accueil personnalisé des nouveaux enseignants, avec par exemple une aide pour trouver un ­logement digne. Ce n'est pas miraculeux, mais ça permet d'avancer dans la bonne direction. Il est très important que les collectivités soient des partenaires, mais aussi que l'État garde ses prérogatives.
Il faut trouver l'équilibre entre le désengagement de l'État qui ouvrirait la boîte de Pandore de la privatisation à l'Américaine (dont les Américains ­reviennent eux-mêmes d'ailleurs) et la bureaucratie étatique, qui ne laisse ­aucune place à la constitution d'équipes et à l'expérimentation de dynamiques nouvelles.

 

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