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11 juin 2018 1 11 /06 /juin /2018 23:05

A l'invitation du CEIC, d'Attac et de la MJC, Philippe Frémeaux - éditorialiste a Alternatives Economiques - sera à la MJC de Colombes

mardi 12 juin

à partir de 20h30

pour présenter et échanger autour de son livre "Apres Macron"

 

« Après Macron » par Philippe FREMEAUX

La victoire d’Emmanuel Macron tient à un incroyable concours de circonstances. Mais pas seulement. Son élection couronne l’évolution politique des trente dernières années en officialisant l’union de la gauche réaliste et de la droite modérée. La réussite individuelle et la justice sociale. La fin de l’ISF et de la taxe d’habitation. La relance de la croissance et la transition écologique. Une France où les riches seront plus riches, les pauvres moins pauvres.
 

La promesse se heurte désormais à la réalité de l’exercice du pouvoir. Dossier après dossier, sujet après sujet, les arbitrages rendus penchent tous du même côté. Avec le risque de nourrir le ressentiment qui fait le lit du Front national. Il faut donc penser l’après-Macron, en commençant par comprendre de quoi il est l’aboutissement, afin de reconstruire une gauche de gouvernement apte à relever les défis auxquels notre pays est confronté.

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12 février 2018 1 12 /02 /février /2018 08:30

J’ai regardé récemment 4 films-documentaires de Claude Lanzmann diffusés par ARTE . Une trentaine d’années après “Shoah”, Claude Lanzmann s’est replongé dans le récit, partiellement écarté du montage, de quatre survivantes et ça donne « les 4 sœurs » Ces quatre films – chacun dure 1h30 - mettent en avant des histoires individuelles qui s’inscrivent dans l’histoire collective de la destruction des Juifs d’Europe

  • Ruth, tchécoslovaque déportée à Theresienstadt, puis à Auschwitz, où sa situation de femme enceinte l’a fait croiser Mengele. Surement le plus poignant des 4 récits
  • Paula, polonaise,  a fait partie de la police féminine du ghetto de Lodz
  • Ada, polonaise  rescapée du camp de Sobibor, où elle arrangeait les poupées prises à des enfants juifs et destinées à des fillettes de nazis
  • Hanna, hongroise,  a fait partie d’un convoi de 1684 Juifs dont la survie a été négociée moyennant une rançon avec Eichmann

 

Je ne reviendrai pas ici sur la Shoah, ni sur le récit de ces 4 femmes, mais j’ai retenu une phrase, une courte phrase, comme un cri de détresse 30 ans après les faits, je ne sais plus laquelle l’a prononcée, que je trouve intemporelle et tellement forte parmi tous les mots forts prononcés et retenus au montage.

 

L’une d’elle a dit « nous avons été bannis, bannis de l’humanité ».

 

Depuis fort longtemps , je me demande comment des êtres civilisés, quelle que soit la civilisation,  peuvent arriver à participer à des massacres de masse, ou à les cautionner, ou à les accepter sans sourciller. Et à dénier toute humanité à la victime.

 

De ce point de vue,  la shoah est  un phénomène  unique dans l'histoire moderne par son effet de masse, par son caractère systématique, global, industriel et par l’implication d’un régime totalitaire et raciste. Il en est d’autres qui n’ont pas les mêmes ressorts idéologiques : les américains avec les  amérindiens,  les turcs avec les arméniens, les serbes avec les bosniaques, les hutus avec les tutsis, les khmers rouges avec les cambodgiens, le Congo très méconnu, pour ne m’en tenir qu’aux principaux que j’ai en tête.

 

« Bannis de l’humanité »

Alors qu’est-ce qui fait que certains aient une appétence pour l’acte de tuer et de massacrer au point de vouloir faire disparaitre de la surface de la terre  une ethnie, ou un peuple par des moyens barbares ? D’où vient la nécessité d’assassiner en masse. ? Pourquoi s'en prendre aux enfants, aux femmes, aux personnes âgées? Pourquoi commettre sur eux des atrocités ? Comment passe-t-on de la coexistence au massacre ? Comment passe-t-on à la violence, puis à l’extrême-violence ? Comment devient-t-on persécuteur actif, complice, compréhensif, voire passif ? Bourreau volontaire ou monstre ordinaire ? Comment trouve-t-on du plaisir dans des actes ignominieux ? Comment  est-ce qu’on construit des récits où l’autre se transforme en menace pour nos privilèges petits et grands, puis en ennemi, en un danger au point de déshumaniser cet autre ? Comment en arrive-t-on à obéir à des ordres qu’on a réinterprété parce qu’ils n’ont pas été expressément prononcés ?Qui dit menace dit ennemi, dit conflit, guerre : contre un pays, un peuple, une race, une religion, une représentation.

 

 « Bannis de l’humanité ».

Finalement la question des réfugiés, des migrants rejoint celle des génocides. Ces réfugiés qui essaient de traverser la Méditerranée pour ne parler que d’eux. 5 000 sont morts ou ont disparu en mer en 2017, autant en 2016, 3 700 en 2015, 3 200 en 2014. Là-bas, peu importe où, leur condition humaine étaient devenues inhumaine à leurs yeux, ils rêvaient d’un ailleurs meilleurs, accueillant- même mal accueillant, plein d’avenir. Ils ont disparu en mer, entassés sur de frêles embarcations comme d’autres 70 ans plus tôt étaient entassés dans des wagons à bestiaux, sans que personne ne les voit, ni même ne les imagine, avec leur maigre baluchon trainé depuis un lointain pays. Ils sont devenus mentalement invisibles aux yeux de l’Europe alors que chacun est parfaitement informé de ce qui se passe. Ils se sont volatilisés, devenant physiquement transparents, noyés au fond de l’océan dans l’indifférence et l’apathie,  abandonnés par le reste de l’humanité.

 

« Bannis de l’humanité »

Ces trois mots me trottent dans la tête comme une musique lancinante, une musique triste, une musique funèbre.

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3 janvier 2018 3 03 /01 /janvier /2018 17:04

En Iran, où le Nouvel An de l'année 2018 aura lieu le 21 mars, on n'est pas synchronisé avec l'Occident. On manifeste comme un jour ordinaire en Europe. La liberté n'attendra pas. Source : https://www.ncr-iran.org/fr/

Remettre les compteurs à zéro. Repartir du bon pied. Toujours remettre le monde sur le travail. Tel est l’horizon des Occidentaux qui tentent d’imposer, en vain, aux autres cultures du monde leur Nouvel An du 1er-Janvier.

Car les Chinois, les Indiens, les Musulmans et bien d’autres, tiennent à leur calendrier et se fichent du nôtre, en faisant mine de se plier à ces dates communes que l’Occident a réussi à imposer à la fin du XIXe siècle. S’il faut bien un temps mondial pour l’aviation, les bourses des valeurs et le business, s’il faut un accord pour que les agendas de la jet set politique, diplomatique et commerciale concordent un tant soit peu, s’il faut bien célébrer quelques événements « mondiaux » comme la fin des guerres, la mort d’un empereur, la distribution des prix Nobel, tout cela fait-il un temps « mondialisé » ? Pas sûr. A Marrakech et Mascate, à Bombay et Jakarta, ce lundi 1er janvier était un jour très ordinaire dans les rues. A Tokyo, on faisait la queue devant les temples dans la nuit du 31 décembre et toute la journée du 1er janvier. Mais les Japonais célèbrent moins le temps qu’ils ne prennent une pause accordée pour ce grand week-end familial : les gares sont bondées et les restaurants pris d’assaut dans un pays qui ne pratique pas facilement les grands congés.

 

Au Japon, la parade du renard qui rassemble des festivaliers portant des masques de renard désignant également Kitsune, un personnage du folklore japonais. Une fête loin du feu d’artifice de minuit en Occident.

Dans leur fabuleux Dictionnaire critique de la mythologie (1), J.-L. Le Quellec et B. Sergent expliquent que la mesure du temps est longtemps fondée sur des mythes astronomiques nés des constellations, les groupes d’étoiles étant nommés pour des raisons calendaires agricoles ou matrimoniaux. Les deux grands luminaires, le Soleil et la Lune, marquent le temps différemment jusque dans les calendriers juif, musulman et orthodoxe, mais aussi chez les Amérindiens, les Papous de Nouvelle-Guinée. Dans la Polynésie, le Nouvel An donne lieu à des rites annuels de fertilité et se relie au thème du retour des morts et d’un dieu de l’abondance. Le capitaine Cook identifié par les Hawaïens au dieu Lono paie de sa vie le fait d’arriver au mauvais moment, selon l’anthropologue Marshall Sahlins.

Dans le même ouvrage, l’article « Nombres et mythes » compte pas moins de vingt-cinq pages sur le sens des nombres que les humains utilisent dans notre lecture des faits jusqu’au fétichisme dénoncé par de nombreux auteurs. En prenant le nombre « 1 » qui signifie l’unité de l’Univers, de l’Homme, qui est à la base du monothéisme, on apprend qu’il existe une vraie mythologie arithmétique en Afrique du « 1 » du dieu suprême, car à l’origine du monde. Mais point de Nouvel An… Qui osera encore parler de mondialisation quand il s’agit de l’heureux échec d’une occidentalisation qu’on a crue inéluctable et invincible ?

(1) Dirigé par Jean-Loïc Le Quellec et Bernard Sergent, CNRS-Editions, 2017, 1 554 p

Libération, Gilles Fumey  le 3 janvier 2018

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19 septembre 2017 2 19 /09 /septembre /2017 08:40

La tragédie des Rohingyas de Birmanie rappelle, s’il en était besoin, que le bouddhisme n’est pas plus une religion « de paix » que l’Islam ne serait une religion « de guerre ».

Imaginons un pays fictif d’Asie dont la culture ancestrale et l’art de vivre nourriraient à l’étranger une fascination durable. Peuplé à plus de 90% de Musulmans, il aurait longtemps été dirigé par une junte militaire, inspirée des dictatures en place au Pakistan et au Soudan. Ce pays serait resté longtemps fermé au monde extérieur jusqu’à ce qu’une ouverture démocratique, très contrôlée par les généraux, s’opère progressivement. L’icône de cette transition aurait été surnommée la Sayyida, la Dame, tant cette fille d’un père de l’indépendance aurait su préserver une inébranlable résistance durant les années les plus sombres de la répression.

 

Honorée du prix Nobel de la Paix, la Sayyida aurait aussi été célébrée dans une production hollywoodienne, réalisée par un cinéaste français, où son rôle aurait été tenu par une star de Bombay. Son immense prestige n’aurait cependant pas fait taire les critiques croissantes de son autoritarisme, et surtout de sa soumission aux diktats des militaires. Ceux-ci ne lui auraient concédé que le titre de « conseillère spéciale de l’Etat » et la direction de fait, et non en droit, du gouvernement. La Sayyida en serait venue à cautionner l’acharnement de la soldatesque locale contre la minorité bouddhiste, d’abord privée de ses droits à la nationalité, puis victime d’une politique systématique d’épuration ethnique. Le monde entier se serait naturellement dressé contre une telle infamie.

 

DEUX POIDS DEUX MESURES

 

Ce pays mythique restera une fiction, alors que la tragédie birmane est bien réelle. Mais imaginons un instant le tonnerre de protestations qui aurait accompagné les persécutions aujourd’hui infligées en Birmanie, si celles-ci avaient été menées par des Musulmans, toujours soupçonnés de violence, à l’encontre de Bouddhistes, spontanément crédités de pacifisme. La Sayyida n’existe pas, c’est Luc Besson qui a mis en scène la « Lady » sous les traits de Michelle Yeoh. Mais Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix en 1991, assume aujourd’hui à la face du monde la responsabilité des massacres perpétrés à l’encontre des Musulmans de Birmanie. Elle ne couvre pas tacitement les crimes des militaires birmans, elle dénonce la « désinformation » de ceux qui les dénoncent, au point d’annuler un déplacement prévu à l’ONU.

Notre monde s’est habitué, depuis Sarajevo et Grozny, à ce que les massacres de Musulmans laissent de marbre des consciences qui s’émeuvent légitimement face à d’autres violations massives des droits de l’homme. La lutte contre le « terrorisme islamiste » est bien commode pour justifier des indignations aussi sélectives. Oui, l’Armée du Salut des Rohingyas du Arakan (ARSA) a ouvert cette crise, le 25 août, en menant des attaques coordonnées contre les forces birmanes de sécurité. Non, la Birmanie, confrontée pourtant depuis des décennies à différentes guérillas ethniques, n’a jamais vu un tel acharnement contre une population civile assimilée aux « terroristes » et traitée comme telle. Oui, l’ARSA a proclamé un cessez-le-feu dès le 30 août, que l’armée birmane a balayé pour mieux expulser en masse les Rohingyas vers le Bangladesh. Non, la « désinformation » n’est pas à sens unique, elle est largement pratiquée par les uns comme les autres.

 

UNE TRAGEDIE TERRIBLEMENT PREVISIBLE

 

L’engrenage menant à la crise actuelle remonte au moins à 2012, quand une vague de troubles a frappé la province birmane d’Arakan/Rakhine, frontalière du Bangladesh. Les Rohingyas, qui représenteraient le tiers de la population de cette province, ont dès lors été la cible d’une politique discriminatoire en Birmanie même, tandis que les civils réfugiés au Bangladesh se voyaient interdire le retour dans leur pays natal. Une attaque menée par un obscur groupe Yakin, en octobre 2016, a entraîné une nouvelle vague de répression et d’expulsions. C’est ce groupe Yakin, devenu depuis l’ARSA, qui a déclenché, nous l’avons vu, la tragédie en cours.

 

J’avais sur ce même blog, en février dernier, mis en garde contre l’abcès de fixation jihadiste que pourrait rapidement constituer la Birmanie si rien n’était fait pour traiter au niveau local et politique ce qui est fondamentalement un problème politique et local. L’ARSA continue d’avoir la Birmanie, et la Birmanie seule, pour horizon, tandis que la propagande jihadiste tente de se saisir de la tragédie des Rohingyas au profit, entre autres, d’une implantation plus solide de Daech en Asie du Sud-Est. Il est certain que la zone frontalière entre le Bangladesh et la Birmanie fournirait des possibilités infinies à des réseaux transnationaux, que personne n’a encore signalés sur ce théâtre.

 

LE DALAÏ LAMA ET KOFI ANNAN

 

Barbet Schroeder, dans son récent documentaire « Le Vénérable W », a jeté une lumière crue sur le courant extrémiste qui, au sein du bouddhisme birman, prône une haine féroce à l’encontre des Musulmans. Le Dalaï Lama a jugé de tels débordements assez dangereux pour proclamer récemment que « Bouddha aurait aidé ces pauvres Musulmans ». Une confrontation religieuse est donc tout sauf inévitable. D’autant que le Bangladesh, troisième pays musulman le plus peuplé du monde, est loin d’épouser la cause des Rohingyas, qu’il voudrait surtout détourner de son territoire. Le Bangladesh, qui a atrocement souffert lors de sa guerre d’indépendance de 1971 contre le Pakistan, ne nourrit aucune illusion sur les limites de la solidarité « islamique ».

 

Il n’est peut-être pas trop tard pour éviter une nouvelle escalade dont ne pourraient profiter que les réseaux jihadistes. Le rapport remis à Aung San Suu Kyi, le 23 août, par Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, et lui aussi prix Nobel de la Paix, fournit toutes les recommandations nécessaires en vue d’une solution durable de la crise dans la province birmane de Rakhine/Arakan. Mais la majorité bouddhiste de Birmanie doit enfin accepter que les Musulmans de ce pays ne sont pas des citoyens de seconde zone, voire des étrangers à pousser à l’exode. Cette crise, politique et non religieuse, a donc des enjeux qui dépassent de loin la Birmanie et le sort des Rohingyas. Il serait temps d’en tirer toutes les conséquences.

 

blog de Jean-pierre Filiu

Le Monde 17 septembre 2017

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18 août 2017 5 18 /08 /août /2017 12:23

Les attentats de Barcelone et de Cambrils commis hier sont effroyables et mobilisent normalement notre indignation. Qui ne serait pas révolté face à ces carnages?

 J’entends ce matin que c’est le style de vie européen qui a été hier attaqué en Espagne, comme cela avait été le cas à Paris, à Nice, à Berlin, à Londres, à Stockholm, à Bruxelles, à Copenhague et qu’il s’agit pour les assassins de détruire l’insouciance, la joie de vivre de la jeunesse européenne.

C’est sans doute en partie exact, mais ce n’est pas suffisant. Ce sont aussi les fondements des démocraties modernes qui sont mis en cause. Les terroristes qui sèment la terreur ne sont pas des nihilistes, des anarchistes, mais des hommes et des femmes qui, confrontés aux passions destructrices des temps modernes, cherchent à asseoir des dictatures dans une approche idéologique et territoriale de leurs croyances et de leurs pulsions de mort.

C’est pour cela qu’il ne faut pas oublier Orlando, Istanbul, Moscou, mais aussi Ouagadougou, Bamako, l’Afghanistan, l’Egypte, la Tunisie, sans parler d’Israël et de la Palestine, autant de lieux où la jeunesse n'a pas la même insouciance que la jeunesse européenne ni ses modes de vie. Quels que soient les régimes, quelles que soient les couleurs de peau, quels que soient les modes de vie, les morts ont ou devraient avoir autant de valeur, appeler à la même compassion, à la même indignation, à la même révolte.

Les récentes évolutions de pays comme la Pologne, ou la Hongrie qui sapent peu à peu les droits et libertés des citoyens de ces pays, le Brexit britannique, le Vénézuéla, l’élection de Trump aux Etats-Unis qui reflète la perte de repères d’une partie de cette grande puissance aux pieds d’argile (et le rassemblement de Charlottesville n’en est qu’un symptôme), les élections françaises avec des taux record d’abstention et de voix pour l’extrême-droite manifestent aussi l’affaiblissement moral de notre pays.

De grands pays comme la Chine, l’Inde (2,6 milliards d’habitants) et même la Russie qui laissent crever des pans entiers de populations du fait de traditions religieuses, de corruption et de méthodes dictatoriales ne peuvent être oubliées de nos préoccupations.

Tout cela pour rappeler que l’enjeu, essentiel à mon sens, est celui de la consolidation des démocratie, avec des formes adaptées aux histoires locales, et non pas une trajectoire conduisant à plus d’autoritarisme au nom de la sécurité et du bien commun.

Les attentats en Espagne vont sans doute relancer le débat sur la protection de notre pays et sur la sécurité des Français. Car il est évident que partout en Europe, et ailleurs, la menace est élevée. Après les attentats de 2015, je n’étais pas opposé à l’état d’urgence mis en place par Hollande et prolongé plusieurs fois, mais j’avais été opposé à la déchéance de nationalité proposée alors, puis abandonnée du fait des fractures que ce projet avait causée dans le pays pendant de longs mois.

Le candidat Macron avait proposé de mettre fin à l’état d’urgence en intégrant ses principales dispositions  dans le droit commun. Un  projet de loi antiterroriste a rapidement été préparé par le ministre de l’intérieur et a déjà été approuvé par le Sénat le 17 juillet. Il  devrait être soumis au vote de l’Assemblée nationale en septembre.  Mireille Delmas-Marty – éminente juriste - écrit (voir l’article précédent sur mon blog) qu’il existe plusieurs manières pour une démocratie d’abandonner les grands principes. Avec l’état d’urgence, ils sont suspendus de manière visible mais seulement pour une période temporaire. En revanche, avec le projet de loi antiterroriste, il s’agirait de créer à côté du droit pénal ordinaire un droit pénal bis qui permettrait de contourner ces grands principes. On entrerait ainsi dans une forme d’arbitraire politico-administratif, en quittant un état de droit censé protéger l’ensemble de la société et des citoyens. Or l’état de droit est un bien fragile de en démocratie qu’il faut surveiller comme le lait sur le feu. On ne peut pas à la fois déclarer qu’on sera exigeant sur les situations polonaise et hongroise, et glisser tranquillement sur les libertés publiques en France au nom de l’antiterrorisme. Il faut évidemment plus de sécurité et se préserver des risques futurs d’attentats. Mais pour cela il ne faut pas moins de libertés publiques. L’équilibre est fragile. Il ne faut pas céder à la facilité.

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17 août 2017 4 17 /08 /août /2017 23:09

Le projet de loi antiterroriste, examiné mardi au Sénat, marque une rupture anthropologique : cette conception sécuritaire conduit d’une société de la responsabilité à celle de la suspicion. Avec le risque de ne plus protéger les citoyens contre l’arbitraire.

«De tout temps, les adversaires de la démocratie ont prétendu qu’elle était faible et que si elle voulait combattre il lui faudrait bien abandonner ses grands principes. C’est exactement le contraire qui est vrai. Le code pénal tel qu’il est, les pouvoirs des magistrats tels qu’ils sont, peuvent, si le système est bien ordonné, bien organisé, nous permettre d’anéantir nos adversaires. Donner en revanche à l’administration des pouvoirs illimités sur la vie des personnes, sans aucune discrimination, n’a aucun sens, ni en termes de principes ni en termes d’efficacité.» La Cour européenne des droits de l’homme n’aurait su mieux dire. Cet extrait du discours prononcé par le président de la République, le 3 juillet à Versailles, aurait dû rassurer ces éternels inquiets que sont les juristes soucieux de sauvegarder la démocratie et l’Etat de droit. D’autant que le Président ajoute que «la démocratie n’a pas été conçue simplement pour les temps calmes. Elle vaut surtout pour les moments d’épreuve». On croit comprendre que même en cas de terrorisme, les «grands principes» continueront à s’appliquer.

 

Mais alors pourquoi ces appels lancés par les organisations non gouvernementales, puis relayés par de nombreux universitaires, à propos du projet de loi «renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme» que le Sénat doit commencer à examiner mardi 18 juillet ?

 

Si les protestations se multiplient, c’est sans doute parce que ce projet s’inscrit, à l’inverse du discours de Versailles, dans une dynamique sécuritaire marquée par l’abandon des principes qui devaient garantir les individus contre l’arbitraire. En conditionnant la levée de l’état d’urgence au transfert de ses principales dispositions dans le droit commun, «c’est bien à une "banalisation de l’état d’urgence" que procède le projet qui va être présenté au Parlement, et cette banalisation peut devenir une "menace pour l’Etat de droit"», argumente l’appel du 12 juillet, publié par Libération et Mediapart et signé par plus de 300 chercheurs et universitaires.

 

Comme le Conseil d’Etat l’avait clairement rappelé, dans son avis du 17 décembre 2015 à propos de la première prolongation, l’état d’urgence est un «état de crise». C’est pourquoi ses renouvellements «ne devront pas se succéder indéfiniment». Il est vrai que l’avis ajoutait une formule plus obscure : «Si la menace, qui est à l’origine de l’état d’urgence, devient permanente, c’est alors à des instruments de lutte permanents qu’il faudra recourir en leur donnant, si besoin est, un fondement constitutionnel durable.» Une brèche s’entrouvrait ainsi vers un durcissement permanent du dispositif pénal qui perdrait son caractère d’exception pour devenir la règle. A l’époque, le Conseil d’Etat semblait exprimer toutefois comme une réticence, voire un doute quant au fondement constitutionnel d’un tel choix.

Si l’on éprouve de fortes réticences, c’est que, tout en annonçant l’adoption de «nouveaux instruments permanents de prévention et de lutte contre le terrorisme», le projet de loi autonomise les instruments de prévention. Certes, la prévention est nécessaire et doit être renforcée face aux fureurs terroristes, mais la séparer de la punition pour en faire un objectif répressif en soi marque une rupture, conduisant d’une société de responsabilité à une société de suspicion. En séparant la dangerosité de toute culpabilité, et en détachant les mesures coercitives de toute punition, cette réécriture sécuritaire du droit administratif, comme du droit pénal, risque de remettre en cause la notion proprement humaine de responsabilité au profit d’une dangerosité qui effacerait peu à peu les frontières entre les humains et les non-humains, et ferait disparaître la présomption d’innocence. On en viendrait, selon un processus qui ressemble à une déshumanisation, par retirer de la communauté humaine les individus suspects, comme on retire des produits dangereux du marché.

 

Cette rupture, qui pourrait être qualifiée d’«anthropologique» ou même de «philosophique», est consommée dès lors que la punition n’est plus l’objectif d’un droit que l’on persiste à nommer «pénal» alors qu’il tend vers des mesures qui sont imposées à une personne non pas pour punir les crimes qu’elle a commis, mais pour prévenir ceux qu’elle pourrait commettre. Il est significatif que la plupart des dispositions nouvelles relèvent du code de la sécurité intérieure et non du code pénal.

Mais la rupture est aussi politique car l’extension de la punition à la prévention, voire à la précaution quand le risque n’est pas avéré (risque de risque), invite non seulement à remonter de plus en plus loin en amont de l’acte criminel mais encore à affaiblir la garantie judiciaire. Même limitées au terrorisme, des mesures telles que l’assignation à résidence, les visites, perquisitions et saisies administratives, les périmètres de sécurité ou la fermeture administrative de lieux du culte pourraient être décidées, comme en état d’urgence, par le ministre de l’Intérieur ou le préfet. L’ajout d’une référence au juge des libertés et de la détention ne suffit pas au rééquilibrage, d’autant qu’au vu de la masse des tâches confiées à l’exécutif, on peut s’interroger aussi sur le risque d’un transfert de pouvoirs à des partenaires privés.

En effet, le projet accroît la charge imposée aux institutions de police et gendarmerie. Alourdies dans le temps (contrôle permanent) et élargies dans l’espace (des zones de protection aux périmètres de protection ou de sécurité, enfin aux lieux du culte pouvant faire l’objet de fermetures temporaires), les tâches de surveillance et contrôle pourraient se trouver bientôt paralysées par manque de moyens. C’est pourquoi il est prévu que les policiers et gendarmes auxquels sont confiés de nouveaux pouvoirs puissent être assistés par des agents de police municipale et par des agents de sécurité privés. Une étude récente montre pourtant que la privatisation des pratiques de sécurité peut être facteur de désordre (1). Le désordre serait encore renforcé si les nouveaux instruments de prévention entraînaient un véritable détournement des pouvoirs coercitifs, au demeurant peu compatible avec le principe inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (art. XII) : «La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.»

On découvre ainsi qu’il existe plusieurs manières pour une démocratie «d’abandonner les grands principes». Avec l’état d’urgence, ils sont suspendus de façon visible, mais seulement pour une période temporaire. En revanche, le durcissement pénal, ciblé sur des infractions comme le terrorisme, aboutit à un dédoublement permanent entre le droit ordinaire qui respecte les principes et un droit pénal bis qui permet de les contourner, qu’il s’agisse de la présomption d’innocence, de la légalité des délits et des peines ou de la garantie judiciaire. Enfin, les transferts de pouvoir à l’exécutif pourraient aboutir à un détournement au profit d’acteurs privés.

 

En somme, il est nécessaire de lever l’état d’urgence, mais il ne serait ni légitime ni d’ailleurs efficace (voir les avis convergents des organisations de défense des droits de l’homme et des instances de contrôle parlementaire), de le remplacer par une contamination permanente du système pénal. Dans un pays décrit comme «drogué à l’état d’urgence»(Libération, 11 juillet), le risque serait d’aboutir par les voies moins visibles du contournement des principes et du détournement des pouvoirs à ce «despotisme doux» que prophétisait Tocqueville. «Le despotisme en démocratie serait plus étendu et plus doux et dégraderait les hommes sans les tourmenter.» Couvrant la société d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses, uniformes, il tendrait à fixer les humains dans l’enfance et à réduire chaque nation à «n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger».

 

Il est encore possible de résister à la prophétie du despotisme doux, sans pour autant renoncer à la lutte contre le terrorisme. Les voies légitimes sont multiples, qu’il s’agisse de mieux assurer l’indépendance des institutions judiciaires, notamment par la réforme annoncée du parquet ; d’améliorer la coordination des services de renseignement ; de renforcer les forces de police et de gendarmerie ; ou de lutter au plan international, en développant les coopérations, y compris contre le financement du terrorisme. Autant de voies montrant que la démocratie peut valoir aussi, sans abandonner les principes de l’Etat de droit, «pour les moments d’épreuve».

 

(1) Le Code de la sécurité intérieure, artisan d’un nouvel ordre ou semeur de désordre ?dir. Marc Touillier, Dalloz 2016.

 

Dernier ouvrage paru : Aux quatre vents du monde. Petit guide de navigation sur l’océan de la mondialisation, Seuil, 2016.

 

Par Mireille Delmas-Marty, Juriste, membre de l’Institut, Collège de France  

Libération- 

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17 août 2017 4 17 /08 /août /2017 23:00

Dans une lettre ouverte, la juriste a appellé le 30 juin  M. Macron à ne pas choisir entre la sécurité et la liberté, ajoutant qu’elle ne veut pas d’une société dont le seul lien serait la peur.

 

L’Etat de droit est fragile, Monsieur le président de la République, car il navigue au milieu de vents contraires, à commencer par les vents sécuritaires qui menacent la démocratie quand ils prétendent l’emporter sur les vents de nos libertés.

 

Non, la sécurité n’est pas le premier des droits et il faut inlassablement redire  que Ben Laden et l’organisation Etat islamique auront gagné leur pari de détruire la démocratie et l’Etat de droit, si le terrorisme global qu’ils ont impulsé aboutit à  faire que la France , pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et coautrice de la Déclaration universelle et de la Convention européenne des droits de l’homme, renonce aux principes garantissant un droit pénal démocratique : la légalité des délits et des peines, abandonnée au profit de définitions de plus en plus imprécises qui transforment toute une population  en suspects potentiels ; la garantie judiciaire, bafouée par un transfert massif de pouvoirs à l’exécutif (ministre de l’intérieur, préfets, armée ) ; la notion même de « peine », remplacée par des mesures dites de sûreté, déresponsabilisantes donc déshumanisantes.

De la punition d’une faute à sa prévention puis à la prédiction de la dangerosité, ces mesures neutralisent par avance et sans limites les suspects supposés.

 

Fureurs sacrées

 

Il n’y a pas à choisir, Monsieur le président, la sécurité ou les libertés. Vous-même et votre gouvernement, sous le contrôle du nouveau Parlement, vous devez assurer l’une et l’autre, en acceptant qu’elles ne soient absolues ni l’une ni l’autre.

Quand Paul Ricœur rappelait la finitude humaine, il ne disait rien d’autre. Ce n’est pas en introduisant dans le droit de notre pays, après les réformes sécuritaires accumulées depuis la loi de novembre 2001, les principales dispositions qui accompagnent l’état d’urgence que vous vaincrez les fureurs sacrées du terrorisme radical.

 

Renoncer à l’état d’urgence est nécessaire mais n’autorise certainement pas à en faire notre droit commun dans l’ordinaire des jours. Alors que vous avez su renouveler   la démocratie, n’oubliez pas l’avertissement de la Cour européenne des droits de l’homme disant – déjà à propos du terrorisme – en 1978 qu’il ne faut pas « saper, voire détruire la démocratie au motif de la défendre ».

 

La sécurité comme les libertés doit avoir des limites, à commencer par celles des droits dits indérogeables, précisément parce que les instruments internationaux de protection des droits de l’homme interdisent d’y déroger même en cas de menace pour la nation, même en cas de terrorisme ou de guerre.

 

L’ambition de vivre

 

Au cœur de l’indérogeable est apparu le principe du respect de l’égale dignité de tous les êtres humains (article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme), fûssent-ils des terroristes ou soupçonnés tels. Toute loi sur le terrorisme devrait rappeler ces limites et s’efforcer de renforcer  « en même temps » les libertés et la sécurité.

 

Nous ne voulons pas d’une société dont le seul lien serait la peur. Ce n’est pas l’effroi de périr mais l’ambition de vivre qui a lancé nos ancêtres dans la construction de la nation française, puis nos prédécesseurs dans l’invention d’une Europe apaisée. C’est l’espérance de vivre qui incitera demain peut-être nos successeurs à imaginer  une Communauté mondiale de la relation et non de l’exclusion à laquelle des poètes ont déjà donné le beau nom de « mondialité ».

 

S’il vous plaît, Monsieur le président, ne détruisez pas cette espérance alors qu’en si peu de temps vous avez réussi à la faire renaître . Avec toute ma considération.

 

Par Mireille Delmas-Marty (membre de l’Institut, professeur émérite au Collège de France)

LE MONDE | 30.06.2017

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/06/30/mireille-delmas-marty-monsieur-le-president-renoncer-a-l-etat-d-urgence-est-necessaire-mais-n-autorise-pas-a-en-faire-notre-droit-commun_5153795_3232.html#weF91dcZ7RBsju07.99
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10 août 2017 4 10 /08 /août /2017 23:33

L'avocat de la veuve du prix Nobel de la paix a porté plainte auprès des Nations unies pour «disparition forcée et arbitraire».

 

Le 13 juillet, en Chine, le poète Liu Xiaobo mourait en détention d’un cancer du foie. Il avait été condamné en 2009 pour «subversion du pouvoir de l’Etat» après une pétition demandant au Parti communiste chinois de respecter les libertés fondamentales des citoyens. Un an plus tard, il recevait le prix Nobel de la paix. Pour sa femme Liu Xia, photographe et plasticienne, empêchée de venir chercher le prix à Oslo et mise en résidence surveillée, c’était le début d’une longue descente aux enfers. Depuis la mort de son mari, on ne sait où elle se trouve. Jared Genser, basé à Washington, représente le couple depuis 2010. L’avocat, qui a défendu, entre autres, les Nobel Aung San Suu Kyi, Desmond Tutu et Elie Wiesel, explique à Libération pourquoi il a déposé auprès des Nations unies, le 3 août, une plainte pour «disparition forcée».

Quels ont été vos derniers contacts avec Liu Xia, la femme de Liu Xiaobo ?

Quand j’ai commencé à les représenter, Liu Xiaobo était déjà en prison. Je n’ai jamais pu rencontrer non plus Liu Xia, mais je lui ai parlé au téléphone durant l’été et l’automne 2010, avant que, une semaine après la remise du prix Nobel à son mari, un cordon de sécurité très strict soit imposé autour d’elle. Je n’ai pu avoir aucun contact direct avec elle durant des années, jusqu’à l’annonce du cancer de son mari (en juin dernier, ndlr). J’ai pu lui parler par l’intermédiaire d’un ami, puis, en toute confidentialité, via son frère, jusqu’au 11 juillet. Le 15 juillet, elle a assisté à la dispersion forcée des cendres de son mari dans la mer. Depuis, nul ne l’a vue ni entendue. Des sources anonymes suggèrent qu’elle est revenue à Pékin (où l’accès à son immeuble est interdit), mais c’est invérifiable. Ni ses plus proches amis, qu’elle avait revus lors de l’agonie de Liu Xiaobo, ni son avocat local n’ont eu de ses nouvelles.

Pourquoi avoir déposé une plainte auprès du groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires des Nations unies ?

Nous voulons démontrer que les faits ne collent pas avec l’assurance du gouvernement chinois selon lequel elle est libre. L’intention n’est pas juste d’attirer l’attention sur le fait qu’elle a disparu, mais aussi sur la spécificité de sa disparition. Ce qui lui arrive est, selon les lois internationales, une disparition forcée et arbitraire. Il faut rappeler que Liu Xia ne peut pas être considérée comme une dissidente. Elle est seulement l’épouse du prisonnier politique chinois le plus célèbre. En tant que citoyenne chinoise, elle n’a commis aucun crime : elle devrait être libre de posséder un passeport, de se déplacer à l’étranger pour recevoir un traitement médical et d’habiter où elle veut. Elle a déjà exprimé son désir de voyager à l’extérieur du pays et, selon moi, ses demandes devraient être honorées. Le groupe de travail a envoyé ses questions au gouvernement chinois mais le processus onusien est très long. Si je n’ai pas de réponse, je déposerai une nouvelle plainte.

Vous avez défendu de nombreux prisonniers politiques. Le cas de Liu Xia et Liu Xiaobo est-il exceptionnel?

Le niveau de douleur infligé non seulement à Liu Xiaobo, mais aussi sa famille, est exceptionnel. Je savais depuis le début que le représenter serait difficile car je devrais me battre contre la Chine. Lorsqu’il a obtenu le Nobel de la paix, j'ai su que cela serait encore plus dur. Mais jamais je n’aurais imaginé à quel point Liu Xiaobo serait maltraité et à quel point ce serait si grave. Emprisonner Liu Xia dans un endroit inconnu est une violation claire de la loi internationale. En ce XXIsiècle, la Chine n’est pas inquiétée pour ces violations des droits humains en grande partie à cause de l’autocensure dont font preuve les grandes démocraties occidentales. Elles semblent avoir peur de s’opposer à la Chine, et ce silence permet au gouvernement chinois de devenir de plus en plus agressif dans sa pression sur les dissidents. 

Les autorités chinoises craignent-elles qu’elle fasse sortir des écrits de son mari ou qu’elle devienne une icône ?

Je ne peux ni spéculer ni m’exprimer sur ce qui motive le gouvernement chinois. Mais selon certaines sources, la Chine dépense plus de 140 milliards de dollars par an pour sa sécurité intérieure et 130 milliards de dollars sur son budget militaire, ce qui prouve qu’elle a peur. Les autorités ont montré qu’elles ne veulent pas seulement se débarrasser d’un dissident qui ne leur obéit pas mais aussi s’assurer qu’une énorme souffrance soit imposée à la famille pour créer un exemple et empêcher les autres dissidents de parler. Liu Xia est, depuis presque sept ans maintenant, retenue en résidence surveillée sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elle, sans aucun procès. Pendant les premières années de sa détention, elle pouvait voir ses parents, puis ceux-ci sont décédés. Elle a ensuite pu voir son mari, il est désormais mort. Elle n’a pu ni communiquer avec sa famille, ses avocats, ses amis ni avoir accès à Internet pendant très longtemps. Après le décès de son mari, nous avons cru qu’elle pourrait arrêter de souffrir, mais ce n’est pas le cas. Il est impératif que la communauté internationale s’élève d’une seule voix et dise : "C’est assez, elle a assez souffert".

 

Libération 10 août 2017 Laurence Defranoux 

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10 août 2017 4 10 /08 /août /2017 23:31

Le poète et essayiste, emprisonné depuis 2009 en Chine, est mort d'un cancer du foie jeudi. Une voix pacifiste étouffée jusqu'au dernier souffle par le régime.

Une chaise vide pour toujours. Dans l’histoire, seuls deux prix Nobel de la paix sont morts en captivité sans avoir pu recevoir leur récompense. Le journaliste allemand Carl von Ossietzky, en 1936, interné en camp de concentration par les nazis avant de mourir à l’hôpital. Et le poète chinois Liu Xiaobo, qui purgeait en 2010 une peine de onze ans de prison pour «subversion du pouvoir de l’Etat». Sa femme ayant été interdite de faire le voyage en Norvège, le prix avait été posé sur une chaise vide. Un geste fort qui, pensait-on, allait aider à sa libération. Mais Liu Xiaobo est mort ce jeudi, à 61 ans, d’un cancer du foie, extrait in extremis de sa cellule pour une chambre d’hôpital sous haute surveillance. Pourtant, il n’était ni un dangereux terroriste, ni un opposant prêt à prendre les armes pour renverser le pouvoir. C’était un poète, essayiste et critique littéraire qui croyait que la société civile, avec des moyens légaux, pouvait desserrer la chape de plomb que le Parti communiste chinois fait peser sur un cinquième de la population mondiale.

«Cheval noir»

Il est né le 28 décembre 1955, d’un père professeur, qu’il disait sévère et brutal. Lorsque Mao envoie les intellectuels, la «neuvième catégorie puante», se «rééduquer à la campagne», l’adolescent suit sa famille dans les steppes de Mongolie intérieure. Déscolarisé comme tous les jeunes de sa génération, il se passionne pour Nietzsche et Kafka. A la fin de la Révolution culturelle, en 1976, les universités rouvrent et Liu, alors ouvrier dans le bâtiment, réussit l’examen d’entrée à l’université de Pékin, étudie la littérature et devient professeur de philosophie.

Il fréquente les salons poétiques mais méprise le petit cercle d’écrivains pékinois, qu’il trouve imbus d’eux-mêmes et dociles avec le pouvoir. En 1986, dans son article Crise!, il dégomme un par un ses pairs d’une plume acerbe et brillante : «La plupart des auteurs […] exhibent la pauvreté de leur imagination artistique par manque d’une force de création ancrée dans l’impulsion de la vie elle-même», «Liu Shaotang est le chantre d’idylles pastorales d’un laboureur et d’une tisserande dont la simplicité est si classique qu’elle est déjà rouillée.» En 1988, il faut un amphithéâtre pour accueillir tous ceux qui viennent écouter le «cheval noir» de la scène littéraire soutenir sa thèse. Marie Holzman, qui a traduit et lu ses textes, explique son succès : «Il était iconoclaste et véhément, ce qui est rare en Chine, et renouait avec la tradition littéraire du 4 mai 1919, celle qui voulait secouer la poussière de quelques siècles d’empire confucianiste.»

En tenailles à Tiananmen

Invité à l’étranger, il passe trois mois en Norvège puis est en stage à l’université de Columbia, à New York, quand, en 1989, les étudiants chinois descendent pacifiquement dans la rue réclamer plus de liberté.«Liu Xiaobo était un peu déçu par le côté pépère et bourgeois des Occidentaux. Il avait en lui une soif d’absolu, un sens de la mission. Mais aussi une force de conviction étonnante pour un bègue, un courage exceptionnel et de grands talents d’organisateur», raconte son ami Michel Bonnin. Le jeune enseignant s’enthousiasme pour le mouvement et décide de rentrer à Pékin. Il a 33 ans et passe son temps sur la place Tiananmen avec ses étudiants, les conseillant et les morigénant. «Liu Xiaobo m’a raconté avoir été surtout touché par le rôle de la population, qui a soutenu profondément les jeunes et les intellectuels, allant jusqu’à descendre dans la rue pour bloquer les camions», se souvient l’historien. Le 2 juin, pour tenter de repousser la fin sanglante qui s’annonce, il lance une grève de la faim avec un chanteur célèbre, Hou Dejian. La nuit du 3 au 4 juin, alors que l’armée prend en tenailles la place Tiananmen, Liu et Hou se font négociateurs, et convainquent les jeunes de quitter la place avant le début du massacre.

Comme tant d’autres, Liu Xiaobo est emprisonné. Depuis sa cellule, il répond à une interview de la télévision chinoise, où il dit qu’il n’y a pas eu de morts sur la place Tiananmen. «C’était vrai, en partie grâce à lui,précise Michel Bonnin. Mais il y a eu des centaines de morts tout autour, les tanks écrasaient les gens, les soldats tiraient au fusil-mitrailleur. Ses propos ont été manipulés, et il se l’est reproché toute sa vie. A partir de là, il a été déterminé à ne plus se laisser avoir. Et à vivre dans la vérité.» Son modèle est Václav Havel, dramaturge tchécoslovaque, opposant antisoviétique élu Président après la «révolution de velours», en 1989. Marie Holzman cite un de ses articles : «Je me moque que vous m’appeliez traître ou patriote. Si vous dites que je suis un traître, je le suis. Je suis le fils ingrat qui déterre les tombes de ses ancêtres, et j’en suis fier.»

La philosophie du porc

Lorsqu’il est libéré un an et demi après, l’intellectuel arrogant a disparu. Sa première femme a demandé le divorce, il voit peu son fils. Interdit d’enseigner et de séjourner à Pékin, il vit clandestinement dans la capitale et publie ses articles et poèmes à l’étranger, aux Etats-Unis ou à Hong Kong, en utilisant ce qu’il appelle «les zones grises de la liberté»pour faire passer ses idées. «C’était un fin analyste du système politique chinois, explique Jean-Philippe Béja, qui a publié en 2011 sous le titre la Philosophie du porc un recueil de ses articles. Ce n’était pas un radical, même s’il exprimait ses idées de manière radicale. Il était convaincu que le développement de la société civile finirait par éroder le pouvoir du Parti et aboutir à la démocratie. Mais pour cela, il fallait que les Chinois ne succombent pas à ce qu’il appelait la "philosophie du porc", c’est-à-dire la frénésie de consommation.» Chaque 4 juin, en mémoire de Tiananmen, Liu Xiaobo écrit un poème. «Ces textes sont très impressionnants, ils tournent autour du même thème et pourtant sont tous très originaux. C’était un grand poète», se désole Marie Holzman.

En 1989, Liu Xiaobo est tombé amoureux de Liu Xia, poète, photographe, peintre, de cinq ans sa cadette. Une histoire puissante et tragique, qui durera près de trois décennies. Ils se marient en 1998 dans le camp de travail où a été envoyé Liu. Sur son ordinateur, Michel Bonnin fait défiler les photos des moments passés avec eux dans les rares époques de liberté, lui avec un tee-shirt rigolo, elle pétillante. Tous deux sont soumis à une surveillance constante, les conversations enregistrées, le courrier lu. «Une fois, on est allés au restaurant. Aussitôt, cinq ou six hommes se sont assis à la table à côté pour écouter. Il était habitué», se rappelle Michel Bonnin.

Dix mille signatures

Alors que le «printemps de Pékin» disparaît de la mémoire collective chinoise, étouffé par une censure impitoyable, Liu Xiaobo compte sur Internet pour faire circuler les idées. En 2008, l’année des JO de Pékin, il participe à la rédaction d’une pétition, la Charte 08, inspirée de la Charte 77 de Václav Havel. Le texte demande que les libertés de parole, de presse, d’association et de manifestation inscrites dans la Constitution chinoise soient respectées. Lorsque le texte apparaît, il est déjà signé par 300 personnes. Dix mille autres le signeront en trois mois. Plus que le contenu, plutôt modéré, c’est le fait que Liu Xiaobo ait pu coordonner un tel mouvement qui le conduit à sa perte. En 2009, après une parodie de procès de deux heures, il est condamné à 11 ans de prison pour ce que la presse chinoise nomme encore aujourd’hui «des activités destinées à renverser l’Etat».

«Il a été arrêté car il était capable de faire la liaison entre les diverses générations de dissidents, et avait de très bonnes relations avec les vieux dirigeants du Parti qui n’ont pas digéré le massacre du 4 juin, analyse Jean-Philippe Béja. L’exemple de l’Union soviétique et de l’Europe centrale et orientale a montré au pouvoir chinois que tout défi peut aboutir à sa chute. Dès qu’une personnalité qui pourrait fédérer les oppositions disparates apparaît, il n’hésite pas à utiliser tous les moyens pour l’empêcher de nuire et effrayer les candidats à sa succession.»

L’année suivante, Liu Xiaobo se voit décerner le prix Nobel de la paix. La Chine qualifie d’«obscénité» le choix d’un «criminel» et rompt ses relations avec la Norvège – les deux pays ne se sont reparlés que cet hiver. Les conditions de détention se font plus dures, et Liu Xia, qui faisait le lien entre le prisonnier et ses amis, est placée en résidence surveillée, en toute illégalité. Son isolement est si intense qu’elle tombe dans une profonde dépression. Le prix Nobel de la paix est enseveli sous une chape de silence. Durant huit ans, même son vieil ami Jean-Philippe Béja n’obtient que de rares nouvelles, et toujours de manière indirecte.

Badminton et examens

Soudain, à la fin du mois de juin 2017, Liu Xia apprend en même temps que le monde entier que son mari est hospitalisé depuis un mois, en phase terminale d’un cancer du foie. Pour démontrer que le patient, pourtant censé être en liberté pour raisons médicales, n’a pas besoin d’aller à l’étranger, les autorités chinoises diffusent un montage cynique d’images d’archives de vidéosurveillance, où on le voit jouer au badminton et recevoir des soins de routine. Quelques jours plus tard, devant l’insistance de la communauté internationale, elles déclarent qu’il est «intransportable». Un diagnostic contredit par les médecins allemand et américain envoyés à son chevet.

«Chaque personne naît avec les droits intrinsèques à la dignité et à la liberté» affirmait la Charte 08. Jusqu’à sa mort, Liu Xiaobo, poète révolté mais pacifique, en aura été privé. Dans un acharnement que l’on peine à qualifier, le gouvernement chinois s’est opposé à son souhait de se faire soigner en Allemagne. Une des dernières images de lui, prise par des amis depuis un immeuble voisin, le montre serré contre Liu Xia. Tous deux se ressemblent étrangement, maigres et la tête rasée, unis jusqu’au bout dans l’enfermement.

 

Libération, 13 juillet 2017. Laurence Defranoux

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15 juin 2017 4 15 /06 /juin /2017 19:42

Délia Toumi et Patrick Chaimovitch tiennent à remercier les 502 électeurs du 1er tour des élections législatives (2,13 % des suffrages exprimés) dans la 1ère circonscription des Hauts-de-Seine qui nous ont accordé leur confiance et ont souhaité soutenir avec force les idées écologistes que nous défendons.

Ce scrutin s’est produit dans un contexte inédit où l’électorat a manifesté son souhait profond de renouveler tant la classe politique que les pratiques des partis. Les électeurs ont tranché dans toute la France en faveur du parti présidentiel mais aussi ont manifesté leur défiance par une abstention inhabituelle.

Notre résultat, et plus globalement celui des différents candidats se réclamant de l’écologie, s’il est certes insuffisant, est un signal clair en faveur du renouvellement démocratique de la représentation politique, et en même temps un appel à plus d’écologie comme levier d’égalité entre les citoyens. Il montre que le besoin d'écologie dans les politiques publiques est toujours aussi fort et que Gennevilliers-Ecologie et Europe Ecologie- le Verts demeurent aux yeux des électeurs comme étant les mieux à même de porter des politiques respectueuses de l'homme et de son environnement parmi la floraison d’étiquettes écologistes.

Au soir du 1er tour de l’élection présidentielle, nous avions pris position en faveur d’Emmanuel Macron afin de faire barrage au Front National et ses idées xénophobes, anti-européennes et de repli sur soi. Nous avons défendu le 11 juin une candidature de gauche et écologique, afin que les questions d’environnement, de transition énergétique, d’éducation, de logement, de mixité sociale soient représentées à l’Assemblée Nationale.

Dans notre circonscription se retrouvent désormais en lice pour le second tour la candidate du PC et celle de LREM. Nul ne « possède » les voix des électrices et des électeurs qui sont libres et responsables. Mais des démocrates engagés ne peuvent rechigner à faire connaître leur position et à l’expliquer.

Pour les écologistes de graves questions sont encore pendantes et ont été totalement absentes du programme de la candidate LREM : dérèglement climatique, préservation des libertés individuelles, garantie du dialogue social. Nous pensons que des avancées doivent être mises en œuvre sur le scandale de la pollution de l’air et la lutte contre les lobbies industriels. Nous attendons une ambition plus forte et une clarification de la feuille de route de Nicolas Hulot en matière d’environnement. Comme tous les démocrates et les défenseurs des libertés, nous demandons le retrait du projet visant à pérenniser l’Etat d’urgence dans le droit commun, et restons attentifs à ce la justice sociale progresse dans nos villes et nos quartiers.

Pour le second tour, nous appelons à la mobilisation pour défendre les valeurs de la gauche et de l’écologie qui ne peuvent être absentes de la représentation nationale, d’autant qu’une très large « majorité absolue » est annoncée pour le parti LREM. Pour cette raison, parce que le Parlement a besoin de pluralisme des idées, nous choisissons de voter en faveur de la candidate de gauche.

Au-delà de ce vote, avec Europe Ecologie-les Verts et Gennevilliers Ecologie, nous appelons les citoyens à rester mobilisés dans les temps à venir, pour favoriser le vote de lois allant dans le sens d’une écologie des solutions face aux urgences écologiques et sociales.

 

Délia Toumi et Patrick Chaimovitch

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