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3 mai 2019 5 03 /05 /mai /2019 23:06

Vous réclamiez depuis des mois un « Grenelle du pouvoir de vivre ». Edouard Philippe vous réunit lundi à Matignon. Vous êtes satisfait ?

Nous avons en tout cas été entendus sur le fait qu'il fallait une inflexion sur la méthode. Aujourd'hui, quand j'écoute le président de la République ou le Premier ministre, j'entends parler davantage des corps intermédiaires et de la confrontation avec eux pour faire émerger des solutions. Nous disons chiche. A la CFDT, nous ne sommes pas naïfs mais, quand une porte s'entrouvre, on n'a pas l'habitude de faire demi-tour. On la pousse pour l'ouvrir en grand.

Qu'attendez-vous de ce rendez-vous ?

A la fois des mesures à hauteur de femmes et d'hommes et l'organisation d'une confrontation des idées pour construire des propositions permettant de faire face aux défis sociaux et écologiques. Nous avons besoin de réponses extrêmement concrètes à nos revendications. Nous allons pousser les 66 propositions du pacte pour le pouvoir de vivre que nous avons signé avec 18 autres syndicats, associations et ONG. Nous voulons obtenir l'obligation pour les employeurs d'attribuer une prime de transport obligatoire pour les salariés en l'absence de négociation d'un accord de mobilité, un encadrement des rémunérations dans les entreprises, des aides au logement renforcées pour les salariés ou encore un pacte de mobilité pour les jeunes.

Par ailleurs, nous avons constaté un manque de souffle sur la question écologique lors de l'intervention du chef de l'Etat. Il faut que très vite, nous nous mettions au travail pour construire des mesures concrètes sur ce sujet. L'exécutif parle de « pacte productif pour le plein emploi » à l'horizon 2025. Il faut travailler à la construction d'un nouveau modèle non seulement productif mais aussi concernant les déplacements ou le logement sur lequel nous avons besoin d'un investissement massif.

Les élus et les associations environnementales sont aussi invités. Ne craignez-vous pas que cela rendre encore moins audible la voix des syndicats ?

Lundi, c'est le lancement d'un processus qui ne doit oublier personne. Les partenaires sociaux sont évidemment particulièrement concernés, mais, par exemple sur la transition écologique, l'implication des territoires et des associations environnementales est nécessaire tandis que sur les questions de pauvreté - absentes du discours d'Emmanuel Macron -, les associations de lutte contre l'exclusion ont leur mot à dire. Les configurations doivent varier selon le sujet. A condition bien sûr qu'il y ait un vrai dialogue, qu'on ne nous réunisse pas pour nous annoncer des décisions mais pour y travailler. C'est ce que nous demandons.

Le chef de l'Etat veut intégrer 150 citoyens tirés au sort au Conseil économique, social et environnemental. Et un groupe de travail constitué sur ce principe va faire des propositions sur la transition énergétique en décembre. Qu'en pensez-vous ?

Pourquoi pas ajouter une démocratie participative aux démocraties politique et sociale via le Cese. Si cela se fait comme dans les pays nordiques - je pense en particulier à l'Islande -, et comme a commencé à l'expérimenter le Conseil économique, social et environnemental, ça peut être intéressant. C'est une autre façon d'irriguer la démocratie.

Mais les groupes citoyens ne peuvent être la réponse à tout. La société est traversée d'intérêts contradictoires qui doivent se confronter. C'est le rôle des corps intermédiaires. Il ne faut pas que le travail soit fait à la va-vite en les court-circuitant.

L'exécutif promet une baisse de l'impôt sur le revenu. Est-ce pour vous la bonne réponse au ras-le-bol fiscal ?

Pour la CFDT, la priorité doit être de baisser la fiscalité indirecte et d'augmenter la fiscalité directe, plus juste. Cette baisse de l'impôt sur le revenu pour les plus basses tranches n'en répond pas moins à une demande de pouvoir d'achat. Mais attention à ce qu'elle ne s'accompagne pas d'une dégradation du service public.

Pour financer la mesure, cela aurait eu du sens d'imposer plus fortement les plus hauts revenus mais nous prenons acte de la décision du gouvernement de supprimer les niches fiscales des entreprises inefficaces. Dans ce cadre, on le voit bien sur Auchan, nous avons un problème sur le CICE du fait de l'absence d'obligation de contrepartie des entreprises en matière d'emploi (effectifs, qualité, investissements…).

Le 1er Mai a échappé aux syndicats. Cela vous inquiète-t-il ?

D'abord, je suis soulagé qu'il n'y ait pas eu trop de blessés et aucun mort. Je voudrais aussi souligner que pour ce 1er Mai comme pour les autres, il y a eu beaucoup de fonctionnaires qui ont travaillé. Forces de l'ordre, personnel hospitalier, agents municipaux… La journée a été dure pour eux et je veux leur dire toute ma solidarité.

Ceci étant dit, c'est vrai que ce 1er Mai qui est normalement une journée festive pour les travailleurs leur a été confisqué par des extrémistes violents même si, en dehors de Paris, la plupart des manifestations ou initiatives diverses ont conservé leur esprit convivial. Il est regrettable que mercredi, on n'ait pas beaucoup entendu parler des revendications sociales, européennes à quelques semaines d'une élection majeure pour l'Europe.

Le 9 mai, la CFDT, avec les syndicats, appelle les fonctionnaires à une journée d'action. Ne craignez-vous pas un échec de la mobilisation ?

La CFDT a essayé de faire bouger le texte et obtenu certaines avancées. Nous accueillons positivement la porte ouverte par le secrétaire d'Etat à la Fonction publique pour une prime de précarité versée aux CDD, comme dans le privé. C'est une revendication que nous portons depuis longtemps et pour laquelle nous avons déposé des amendements refusés par le gouvernement. Nous souhaitons que cette prime concerne tous les CDD et nous continuerons à oeuvrer dans ce sens mais il reste encore beaucoup à faire.

Si on peut se réjouir du renoncement annoncé à l'objectif de 120.000 suppressions de postes sur le quinquennat, le gouvernement doit comprendre qu'il ne pourra réussir à faire ses maisons de service public que la CFDT a demandées qu'avec le soutien des fonctionnaires qui ont, aujourd'hui, un sentiment de profond délaissement.

Une suppression de l'ENA, en tout cas dans sa forme actuelle, est envisagée…

Supprimer l'ENA serait une réponse démagogique flattant le sentiment anti-élites nauséabond. Il faut arrêter de taper sur les hauts fonctionnaires qui sont les garants de la continuité de l'Etat. Si on supprimait l'ENA, je vous parie que le résultat serait inverse à celui escompté avec davantage de reproduction sociale, plus de hauts fonctionnaires issus d'autres grandes écoles privées très chères et encore plus éloignés des réalités françaises. J'espère que Frédéric Thiriez, à qui a été confiée une mission sur le sujet, tordra le cou à un tel projet. En revanche, je pense qu'il faut réformer l'ENA pour diversifier davantage le profil des élèves par exemple.

Vous avez signé avec la CFTC une tribune avec le patronat français sur l'Europe. La question européenne est donc consensuelle pour vous ?

Aujourd'hui, dans le cadre du socle européen des droits sociaux, il y a une fenêtre pour la relance du dialogue social au niveau européen que nous devons saisir. Et si les europhobes l'emportent le 26 mai, nous serons en difficulté là-dessus comme sur beaucoup d'autres choses. Cette tribune porte sur une ambition de progrès social européen. Je regrette que, pour des raisons de posture, les autres syndicats français ne se soient pas associés à l'initiative comme cela s'est fait en Italie par exemple.

Je me félicite qu'à la CFDT, la question européenne soit abordée aujourd'hui de façon apaisée. Nous ne sommes ni dans le statu quo ni dans le rejet de l'Europe. Nous avons conscience que sur nombre de sujets, comme la transition énergétique ou le travail détaché, c'est à ce niveau qu'il faut agir.

Vous allez prendre la présidence de la Confédération des syndicats européens fin mai. Pourquoi ?

Parce que les autres syndicats en Europe l'ont souhaité. Je crois que la Confédération européenne des syndicats (CES) doit être un instrument essentiel pour que les travailleurs ne soient pas les oubliés de l'Europe. Je m'engagerai pleinement pour une Europe sociale, écologique et démocratique. Une Europe qui fasse prospérer un modèle économique et social respectant la planète, une Europe accueillante envers les migrants.

En tout cas, cela ne ravit pas tout le monde en France. Vous avez été hué par des cégétistes vendredi dernier, lors de la manifestation européenne qui s'est déroulée à Bruxelles…

C'était navrant pour l'image de la CGT envers les autres syndicats européens. Personne n'a compris cette attitude scandaleuse. Si on veut l'union syndicale, on respecte les autres organisations.

Vous défendez aussi au niveau européen le développement du dialogue social. Comment comptez-vous vous y prendre alors que le patronat européen y est franchement hostile ?

La CES doit être beaucoup plus offensive pour contraindre le patronat européen de négocier. On fait avec le patronat qu'on a. Je ne désespère pas de convaincre Pierre Gattaz, qui est aujourd'hui à la tête de Business Europe, d'avoir une approche du dialogue social européen différente de celle qu'il avait au niveau français.

Leïla de Comarmond

Publié par les Echos, le 3 mai 2019

https://www.lesechos.fr/economie-france/social/laurent-berger-nous-avons-besoin-de-reponses-extremement-concretes-a-nos-revendications-1015928

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